« J’ai honte de ce que des gens de mon pays [Israël] peuvent faire subir à d’autres »

Photo: Vincent Verhaeren

Janvier 2023… L’état d’Israël commence bien l’année : depuis quelques jours il est à nouveau dirigé pour la 6ème fois par l’indécrottable Benyamin Netanyahou, assis sur toutes ses casseroles, à la tête du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël. Oui, oui, c’est encore possible : la droite historique du Likoud, son parti, embrasse une coalition des partis les plus extrémistes et ultra-orthodoxes ‚tel le  parti « Sionisme religieux » de M. Smotrich, et « Puissance Juive » de M. Ben Gvir ( qui fut un disciple du rabbin Meir Kahane et de son parti « Kach » interdit en 1994 pour cause de terrorisme en Israël et placé sur la liste officielle des organisations terroristes aux EU). Donc un gouvernement ouvertement néo-fasciste d’extrême-droite…

Ce qui n’a pas l’air de déranger nos hommes politiques européens qui n’ont que les mots démocratie à la bouche : ce 2 février à l’Elysée, Mrs Macron et Netanyahou se congratulaient en tirant à boulets rouge sur l’Iran, ce pays du côté sombre de la force où les droits humains sont bafoués… ; ce qui n’est pas le cas d’Israël bien sûr, cette « seule démocratie parlementaire du Proche-Orient » !

Nous avions assisté la semaine dernière à la projection du documentaire de Nicola Zambelli, “SARURA”:

Aux portes du désert du Néguev, un groupe de jeunes Palestiniens lutte contre l’occupation militaire israélienne. Les « jeunes de Sumud » — les jeunes de la persévérance — tentent de rendre à leur peuple les terres volées à leurs familles, en rénovant l’ancien village troglodyte de Sarura. Ils font face à l’agression par des actions non violentes, se défendant des armes à feu avec leurs propres caméras ; ils opposent à la désolation et à la mort l’espoir et la vie.”

La projection fut suivie par une rencontre-débat avec Eitan Bronstein Aparicio, citoyen israélien. Il est le fondateur de Zochrot, une organisation israélienne qui travaille depuis 2001 à susciter en Israël et dans le monde une prise de conscience sur la Nakba et le droit au retour des réfugiés palestiniens. En 2015, il a fondé le centre De-Colonizer avec Eléonore Merza Bronstein, qui démontre la nature coloniale du régime israélien .

Eitan a quitté Israël et vit actuellement avec sa famille en Belgique, à Bruxelles.

J’ai honte, j’ai honte de ce que des gens de mon pays peuvent faire subir à d’autres…”

Ces premiers mots qu’il a prononcé après le film m’ont bouleversée et j’ai voulu le rencontrer pour qu’il nous précise ses sentiments, son analyse et ses espoirs pour son pays.

Interview d’Eitan Bronstein Aparicio

Annie Thonon: Qu’est votre analyse de l’actualité en Israël? 

Eitan Bronstein Aparicio: Je pense que l’on est maintenant dans un moment nouveau et très intéressant, pour moi, Israélien impliqué depuis de nombreuses années dans la situation .

Depuis sa création, Israël est un projet colonial et d’apartheid. Sa politique envers les Palestiniens est toujours restée la même, raciste, colonialiste et violente, mais il a toujours réussi à mener cette politique tout en disant:” On aime la paix, on cherche la paix”. Aujourd’hui il y a un changement : jusque il y a deux mois, il y avait toujours dans les gouvernements de coalition israéliens au moins un parti qui avait une façade disant vouloir la paix, travailler pour la paix… Aujourd’hui cette “façade de bonne conscience” a disparu et c’est très important. Pourquoi?

Le monde politique occidental, l’Europe et les EU, aimaient cette parole parce qu’ils avaient un sentiment de culpabilité vis-à-vis de l’histoire, le génocide, la Shoah , etc. et voulaient aider les juifs. Mais, bien sûr, ils ne pouvaient pas soutenir ouvertement un pur projet colonial. Donc, ils s’appuyaient sur ce discours de façade pour soutenir Israël et le considérer comme leur partenaire pour la paix et la démocratie. Aujourd’hui, ce discours occidental va avoir beaucoup de mal à subsister devant un gouvernement où Netanyahou est le plus modéré!

Conscient de ce fait Netanyahou, malin, va essayer ne pas trop embarrasser l’opinion occidentale: Par exemple prenons le cas du village palestinien de Khan Al Ahmar, petit village bédouin de Cisjordanie qui doit être détruit. Ce conflit dure depuis des années, presque dix ans; Netanyahou, dans l’opposition dans le précédent gouvernement, défendait, avec l’extrême-droite, bec et ongles la démolition, en s’appuyant sur l’avis de la Cour Suprême confirmant la légalité de la destruction. Bien entendu légalité du point de vue d’Israël, qui ne respecte jamais le droit international. Donc, il n’y pas d’empêchement légal en Israël pour exécuter maintenant cette destruction. Mais lorsqu’il y a quelques jours la Cour Suprême a demandé ce qu’il en était, le gouvernement a répondu : ”nous avons encore besoin de quatre mois supplémentaires de réflexion”… .

Bien sûr ce gouvernement va mener une politique encore plus extrême de répression envers les Palestiniens, comme à Jenine récemment, mais cet exemple montre que Netanyahou, car c’est lui à l’évidence qui a pris cette décision, est conscient du fait que le prétexte de “la paix” ne pourra plus jouer, et cela nous donne une situation nouvelle potentiellement dangereuse pour Israël.

Photo: Vincent Verhaeren

Ce gouvernement extrême, si il est cohérent, va rejeter toutes les fausses paroles de paix, le mythe de deux états, etc,… Cela peut paradoxalement avoir des conséquences positives en mettant la communauté internationale, États-Unis et ses alliés occidentaux, face à son hypocrisie en soutenant un régime qui se moque de toutes les règles internationales et des résolutions de l’ONU.

Bien sûr, il ne faut pas être trop optimiste et se faire des illusions. Les récentes déclarations du chef de la diplomatie européenne Josep Borrell me mettent en colère : dire aujourd’hui « il n’est pas approprié d’utiliser le terme  apartheid  en relation avec l’État d’Israël » et que  « qualifier Israël d’état raciste relève de l’antisémitisme » montre que la complaisance internationale ne va disparaître du jour au lendemain. Mais on peut sentir des frémissements et des inquiétudes sérieuses des lobbies pro-israéliens devant certaines prises de positions extrêmes du nouveau gouvernement.

Que signifient les récentes manifestations qui ont eu lieu à Tel Aviv et Jérusalem en janvier dernier ? Le traitement des Palestiniens prévu par ce nouveau gouvernement a‑t-il été évoqué ?

Non, absolument pas. Malheureusement, ce n’est pas central pour les israéliens ; on peut dire qu’ils sont habitués aux discriminations, violences, annexions, d’ailleurs toujours présentées comme une défense justifiée…

Non, mais ces grandes manifestations démontrent quand même une certaine fracture au sein de la société israélienne. Elles contestent le projet du nouveau gouvernement de réforme du système judiciaire qui limiterait les pouvoirs de la Cour Suprême, avec notamment, l’introduction d’une clause dite « dérogatoire » qui permettrait au Parlement, avec un vote à la majorité simple, d’annuler une décision de la Cour Suprême. La procureure générale, Gali Baharav-Miara, a récemment dit craindre des réformes réduisant le pouvoir des juges et d’une « politisation des forces de l’ordre » qui « porterait un coup sérieux aux principes les plus fondamentaux de l’État de droit ».

Ces manifestations spectaculaires ont des répercussions dans le monde de l’entreprise. L’image d’Israël, « un pays sûr et solide pour y investir » semble vaciller : des sociétés financières internationales et des agences de notation de crédit, telles JP Morgan, ont exprimé des inquiétudes sur la façon dont le remaniement judiciaire pourrait avoir un impact négatif sur l’économie. De grandes entreprises israéliennes songeraient à quitter le pays.

Dans ce domaine aussi des choses bougent qui pourraient amener des changements positifs…

Comment voyez-vous l’avenir et comment l’espérez-vous ?

Qu’est-ce que j’espère ?

Évidemment la libération de tout, du régime colonial, du sionisme ; c’est un combat fondamental qui va être long, mais comme je l’ai dit, il y a peut-être maintenant une chance de changement.

Je pense que le principe de deux états n’est plus possible aujourd’hui : en Cisjordanie, il y aujourd’hui 700.000 colons, il n’est plus possible d’envisager une séparation en expulsant les colons illégaux de ce qui aurait dû être un état palestinien ; Il faut se souvenir de Gaza et de l’expulsion en 2005 de 4000 colons qui est toujours considérée comme une trahison par certains colons et reste un traumatisme dans la société israélienne. Je pense aussi aux Palestiniens qui doivent pouvoir rentrer chez eux.

De toutes façons je n’aime pas l’idée de séparation.

Je le répète, je voudrais voir les gens vivre ensemble, pas séparés. Le principe doit être égaux en droits, les gens doivent pouvoir vivre ensemble, pas séparément dans deux états. Le pays doit être décolonisé, cela veut dire faire une répartition de la terre, dans tout le pays ; ce n’est pas possible que les colons qui sont environ 30% de la population détiennent 80% de la terre, donc il faut une redistribution des terres. Il faut détruire le système colonial ; de tout temps, en Amérique Latine, en Afrique, c’est la possesssion de la terre, et des ressources comme l’eau, qui est la base du système colonial.

Tout cela doit être changé profondément, et pas seulement en Cisjordanie, mais dans tout Israël. J’espère qu’on aurait la possibilité de vivre là-bas avec la justice, avec la démocratie, de l’égalité

Devant la responsabilité du monde occidental comment pouvons-nous, simples citoyens de ce monde occidental, agir pour faire advenir ces changements ?

Je vois plusieurs niveaux :

Bien sûr, il y a le monde occidental et ses leaders politiques…

Bien sûr l’Europe a une grande responsabilité dans la création de l’état juif. Après le génocide des juifs pendant la seconde guerre mondiale, l’Europe a voulu aider les juifs en favorisant la création de l’état juif sur le territoire de la Palestine, peut-être avec une bonne intention… mais aujourd’hui ce n’est plus possible avec ce nettoyage ethnique des Palestiniens depuis le tout début… L’Europe doit changer sa politique par rapport à Israël, et faire changer la politique d’Israël. On voit bien actuellement que l’Europe peut prendre très rapidement des sanctions contre certains pays, alors pourquoi pas contre Israël ? Alors j’attends ça… une condamnation claire avec des sanctions à la clef contre le régime d’apartheid d’Israël au lieu des déclarations de Borell !! Je suis très en colère…

Mais aussi il y a les juifs.

Israël se présente comme l’état des juifs du monde entier, disant « nous sommes l’état des juifs », mais ce n’est pas vrai. C’est l’état des sionistes menant depuis sa création en 1948 des politiques d’apartheid, de domination, destruction et de nettoyage ethnique envers un autre peuple. Malheureusement Israël a réussi à imposer cette version et le monde entier voit Israël comme LE pays des juifs, une symbiose entre l’état d’Israël et les juifs du monde entier. C’est un problème pour les juifs parce que la politique menée par Israël peut encourager un antisémitisme qui existe toujours .

Il est très important que les juifs combattent cette image.

Moi, en tant que juif , je suis très choqué.

« Not in my name »… Totalement opposé à ce que ce pays fait en mon nom , j’attends quelque chose des juifs aujourd’hui. En France, aux EU, il y a des communautés de citoyens français, étasuniens, d’origine juive, très puissants, très influents, qui seraient capable d’influencer la politique occidentale et israélienne.

Et pour les citoyens, que faire ?

Je pense qu’il est fondamental de diffuser le plus largement possible un éclairage, une information de ce qui se passe réellement. Ce qui pose bien sûr le problème auquel on se heurte toujours, de l’information des grands médias qui ne sont plus que les porte-paroles officiels et diffusent des récits biaisés, à sens unique et mensongers.

Il est très important aussi de soutenir la campagne BDS contre Israël. Son succès incontestable se mesure à l’acharnement avec lequel cette campagne est combattue par Israël et ses soutiens. Il faut dénoncer les entreprises comme Hewlett Packard, les banques telle BNP Paribas qui investissent et font des profits (plus pour longtemps, espérons-le voir plus haut…) dans un état colonial et d’apartheid comme l’a reconnu Amnesty International. Elles se rendent ainsi complices de violation du droit public international, de grave violation des droits humains garantis par le droit international, ainsi que de crime contre l’humanité en vertu du droit pénal international..

Cela donne d’autant plus d’importance aux réseaux militants et à leur travail pour la justice et la reconnaissance des droits des Palestiniens.

Travail, qui, j’en suis persuadé, ne peut qu’être positif pour l’avenir de cette terre si belle et pour les deux peuples qui doivent pouvoir y vivre ensemble et l’habiter en toute harmonie…

Propos recueillis par Annie Thonon

Il y a tout juste nonante ans un régime issu d’une élection démocratique stigmatisait, pourchassait, terrorisait, assassinait, gazait des millions d’hommes et de femmes pour leur appartenance à une culture, une religion, une histoire… Hitler et le nazisme mettaient en œuvre le génocide des juifs, et provoquaient l’exil de nombre de citoyens allemands d’origine juive. Aujourd’hui, un horrible bégaiement de l’Histoire et quelques générations plus tard, ce sont à nouveau des juifs, citoyens israéliens, qui quittent un pays où il ne leur est plus possible de lutter, de travailler, ou d’élever leurs enfants sans renier toutes leurs valeurs…

A.T.

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