Être enceinte à Gaza

« C’est une course contre la mort au milieu des bombardements incessants à Gaza, racontent les femmes enceintes. […] Je dors dans la rue, telle que vous m’avez trouvée. La situation ici est insupportable, raconte une femme enceinte qui doit accoucher dans quelques semaines. » UNFPA, 27 octobre.

« Nos aspirations se réduisent à la simple recherche d’eau potable et de nourriture. Les moments où nous avons réussi à obtenir de l’eau potable nous ont semblé luxueux. […] Une seule boulangerie sous contrat avec le PAM dispose de carburant pour produire du pain, contre 23 boulangeries au début de l’intervention d’urgence. » Programme Alimentaire Mondial, 2 novembre 2023.

Les chiffres : « On estime que 50 000 femmes enceintes à Gaza sont actuellement piégés par le conflit, dont 5 500 accoucheront dans le mois qui vient, soit plus de 160 accouchements chaque jour. Plus de 840 femmes enceintes pourraient souffrir de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. La plupart de ces femmes n’ont plus accès aux services nécessaires pour accoucher sans danger : les hôpitaux sont débordés par le nombre de victimes et se trouvent à court de carburant pour leurs générateurs, de médicaments et de fournitures de base, y compris pour la prise en charge des urgences obstétriques. » UNFPA, 31 octobre 2023.

« Des milliers d’enfants ont été tués, et des milliers d’autres blessés. En raison de l’escalade des hostilités, les enfants et les familles à Gaza sont privés d’eau, de nourriture, de carburant, de médicaments et d’autres biens essentiels, y compris d’un accès sûr aux hôpitaux. […] Les enfants meurent à un rythme alarmant et leurs droits fondamentaux sont bafoués. Il est impératif de protéger les civils, et en particulier les enfants, et d’éviter à tout prix de les prendre pour cible, quelles que soient les circonstances. Même les guerres sont soumises à des règles. » UNICEF, 6 novembre 2023.

Toujours le même vertige, les besoins sont en augmentation continue et il n’y a, en moyenne, que 33 camions d’aide humanitaire par jour qui entrent dans la bande de Gaza pour tous les besoins. Il en faudrait 10 fois plus pour répondre à ceux-ci. En effet, du 21 octobre au 6 novembre, seulement 569 camions d’aide sont entrés. UNRWA, rapport n°24 du 7 novembre 2023.

« La nuit dernière, Gaza a été visée par des bombardements et des opérations terrestres des forces israéliennes d’une intensité sans précédent, faisant franchir à cette terrible crise un nouveau palier de violence et de douleur. Les frappes israéliennes sur les installations de télécommunications et la coupure de l’accès à Internet qui a suivi ne font qu’aggraver le désespoir et la souffrance des civils à Gaza. Les habitants n’ont aucun moyen de savoir ce qui se passe dans Gaza et sont coupés du monde extérieur. […] Les conséquences humanitaires et en matière de droits humains seront dévastatrices et durables. Des milliers de personnes sont déjà mortes, dont de nombreux enfants. Compte tenu de la manière dont les opérations militaires ont été menées jusqu’à présent, dans le contexte d’une occupation vieille de 56 ans, je tire la sonnette d’alarme quant aux conséquences catastrophiques… » Déclaration de Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, le 28 octobre 2023.

« Environ 1,5 million de personnes à Gaza sont des déplacés internes (IDP). […] Des milliers de cas d’infections respiratoires aiguës, de diarrhée et de varicelle ont été signalés parmi les personnes réfugiées dans les abris de l’UNRWA. […] Selon l’OMS, en raison du manque de matériel médical, les hôpitaux du nord pratiquent des opérations chirurgicales complexes, notamment des amputations, sans anesthésie. » OCHA, rapport n°32, du 7 novembre.

Dans ce cadre particulier et ce cadre général, comment les 50 000 femmes enceintes de Gaza, vont-elles pouvoir échapper au piège. On retourne progressivement vers une santé publique d’ancien temps où la mortalité maternelle à la naissance se comptait en 1 pour 100 naissances et non en 1 pour 100 000 naissances (actuellement 4 décès pour 100 000 naissances pour Israël).

Le graphique. La tendance générale, même si elle semble montrer un léger fléchissement, malheureusement, reste très élevée. Bien qu’un défaut de reporting ne puisse être exclu, les causes de ce fléchissement sont notamment : les plus fragiles disparaissent, les survivants apprennent à se protéger et à survivre, il y a un peu d’aide qui vient. Les causes qui empêchent un réel fléchissement des tendances sont la férocité des bombardements, le manque réel de tout et une mortalité, qui d’immédiate, se transforme progressivement en mortalité avec délai : les blessés et les malades meurent mais pas tout de suite, beaucoup faute de soins adéquats. Pour les enfants, les constats restent les mêmes, la courbe de mortalité, par rapport aux adultes, gagnent en vigueur. N’oublions jamais que derrière la sécheresse des chiffres, c’est d’une immense douleur dont il s’agit.

Graphiques construits à partir des données publiées par le Ministère de la santé de l’Autorité palestinienne et de l’OCHA (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs). Entendons-nous bien, les producteurs de ces chiffres disent que c’est « au moins », c’est à dire uniquement celles et ceux qu’ils peuvent comptabiliser.

Christophe de Brouwer

Full-professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (8 novembre 2023)

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