Si nous voulons nous extraire de la stupeur victimaire dans laquelle essaie de nous maintenir le gouvernement israélien, nous pourrions alors chercher à prendre du recul et à observer les événements du 7 octobre de façon plus objective : que s’est-il vraiment passé ce jour-là ?
Pour tenter de soulever un peu le voile, faisons le détour par les plaidoiries de l’État hébreux lors des deux journées, les 11 et 12 janvier, consacrés à cette question à la Cour internationale de justice (CIJ).
La plaidoirie de Tal Becker, conseiller juridique au ministère israélien des Affaires Étrangères, nous permet d’introduire le sujet.
Ce défenseur loue bien entendu les efforts d’Israël pour venir en aide aux Gazaouis « On ne parle pas des efforts considérables déployés par Israël pour atténuer les dégâts causés aux civils, ni de l’initiative humanitaire entreprise pour permettre l’acheminement des fournitures et fournir des soins médicaux aux blessés ». Il n’a pas assez de mots pour fustiger l’action du Hamas le 7 octobre :
« Affichant ouvertement leur exaltation, ils ont torturé des enfants devant leurs parents et des parents devant leurs enfants, brûlé vifs des personnes, y compris des nourrissons, et violé et mutilé systématiquement des dizaines de femmes, d’hommes et d’enfants. »
Sur ce qui s’est réellement passé le 7 octobre, de nombreuses questions subsistent. Nous en avions abordé certaines grâce au décompte nominatif précis des personnes mortes ce jour-là, réalisé par le journal Haaretz, où la proportion d’enfants décédés était vraiment très faible, celle des nourrissons nulle. Depuis, de nouvelles découvertes mettent profondément en cause le narratif officiel des autorités israéliennes, où il semblerait qu’une partie importante des personnes tuées le seraient des propres mains de l’armée d’Israël. On comprend qu’une enquête approfondie et la plus indépendante possible sur ce qui s’est réellement passé ce jour-là semble non seulement urgent, mais d’une nécessité absolue, compte tenu des enjeux. Et qui mieux que les Nations unies pourraient le faire ?
Concernant les allégations de viols et de mutilations sexuelles, on est là aussi en difficulté de se faire une idée de ce qui s’est, dans les faits, passé, les uns et les autres expliquant des choses tellement différentes. Et on aimerait là aussi une enquête approfondie des Nations unies. Cependant, très vite, la présidente de ONU-Femmes, Sima Bahous, une Jordanienne, fut accusée de partialité et disqualifiée par la partie israélienne qui a d’ailleurs exigé sa démission. Dans la foulée, au tournant de l’année, les représentants israéliens à l’ONU ont vivement critiqué le silence de cette organisation et de son extension ad hoc « ONU femme », face aux viols qu’ils estimaient massifs, commis le 7 octobre.
Avec une grande logique, face à ce qui semblait une demande, une équipe du Conseil des Droits de l’Homme onusien a été envoyé en Israël. Descendant d’avion vers la mi-janvier, cette équipe a été accusée, a priori, d’antisémitisme, et instruction a été donnée aux différents ministères (affaires étrangères, santé, justice) de ne pas coopérer avec celle-ci. On reste abasourdi : tout ne semble que jeux et mépris de l’autre, surtout ici des femmes qui, le cas échéant, auraient été victimes. Pourtant, les viols et mutilations sexuelles sont de vrais enjeux de société, de justice et de santé publique, entre autres. Les petits jeux politiciens et médiatiques autour de cette question sont une honte pour nos sociétés.
Prenons du recul. Que nous apprend ceci ? D’abord peu de choses sont ce qu’elles apparaissent être. Par contre, le déferlement d’image des atrocités et des tueries à Gaza sont telles qu’une suspicion de génocide est bel et bien établie par le CIJ. Comme le souligne Gideon Levy, journaliste à Haaretz, c’est la tête de l’État israélien qui est nommément cité dans l’arrêt (point 52) : le président Isaac Herzog, ancien président du parti travailliste, Joav Gallant, ministre de la défense soutenu par le centre-gauche et Israël Katz, le ministre des affaires étrangères, plutôt reconnu comme un modéré. Ce ne sont donc pas des personnalités suprémacistes ou de la frange la plus violente de l’État qui furent misent en avant par la CIJ pour incitation au génocide. C’est à la lumière de ce déchaînement de violence à caractère génocidaire, qui semble être soutenu par « le courant dominant d’Israël » (je cite Gideon Lévy) , que, lors des événements du 7 octobre, les accusations émises par la partie israélienne de viols, niés par la partie palestinienne, doivent aussi être lus. L’ampleur de l’événement du 7 octobre n’est en aucun cas remis en question, mais bien ses tenants, aboutissants et les réalités présumées rapportées par une partie, telles que les viols ou la décapitation de nourrissons. Cet événement a soulevé une fois de plus la phrase bien connue et répétée par tout notre establishment politico-médiatique : Israël a le droit de se défendre. Mais se défendre contre qui ? Contre ceux qu’il oppresse, emprisonne, qu’il colonise, dont il vole la terre et qu’il tue le cas échéant ? Vous conviendrez avec moi que cela n’a pas de sens.
Nous devons donc approfondir et mieux comprendre l’événement dramatique « 7 octobre ». L’exemple entrevu ici démontre que beaucoup de ce qui remonte à la surface, n’est pas ce qu’on veut nous faire croire.
Christophe de Brouwer
31 janvier 2024