La constante mise en avant de la notion de liberté dans nos régimes dits démocratiques – et je crains bien qu’ils ne le soient, que la notion de démocratie n’ait pas le même sens pour les dirigeants que pour nous – a de quoi faire tiquer. Un animal peut se croire libre s’il ignore tout de ce qui se trouve au-delà des barreaux de sa cage ; ou si son attention est constamment détournée de cet extérieur.
Les bénéficiaires du CST et des diverses formes de passe sanitaire appliquées dans les démocraties autoritaires, auront manqué une expérience étrange. Une expérience où on avait basculé un peu plus dans un autre monde, où les cinémas, les théâtres, les salles de concert, les cafés, les restaurants, etc. – versant récréatif du crime contre notre humanité qui avait été commis à partir de mars 2020 – nous étaient interdits. Une expérience étrange, comportant aussi sa consolation : d’une part la profonde satisfaction de ne pas avoir cédé au chantage (éventuellement la satisfaction de ne pas avoir sombré dans le mépris de ceux qui avaient cédé), doublée de cette nouvelle perspective qui nous permettait de voir les institutions culturelles subventionnées pour ce qu’elles étaient : des lieux de culte (aussi agréables soient-ils).
Dans “le monde d’avant” l’existence d’un Festival des libertés semblait prouver l’existence de celles-ci. C’était facile à croire. Nous en étions peut-être arrivés à confondre liberté et sécurité, à voir l’arbre de la sécurité cachant la forêt, rasée, de nos libertés. D’ailleurs après une éclipse mondiale, le Festival des libertés nous est revenu en 2021, avec l’absence de vergogne propre à l’institutionnel : accommodé aux « mesures sanitaires » et au CST (Covid Safe ticket, trois mots, un seul mensonge, il faut le saluer) et ce, sans qu’on ait jugé nécessaire de le rebaptiser Festival des libertés conditionnelles par exemple, ou Festival de l’exclusion des réfractaires à une injection expérimentale, ce qui aurait certes été un peu long mais facile à abréger en FÉRIÉ, un beau nom, ma foi pour un festival.
Vers la fin du confinement, c’est à part du reste de la population que les employés et les acteurs du monde culturel avaient protesté (les grandes manifestations bruxelloises tues ou poétiquement minorées par la presse subventionnée) ; et surtout sous la supervision d’une présence policière démocratique beaucoup plus timide que les jeunes et moins jeunes de la Boum au bois de la Cambre (printemps 2021) et que le populo défilant à plusieurs reprises sur la petite ceinture.
Curieusement, ou non, la démocratie libérale aura accompli l’exploit d’escamoter la notion de culture officielle, d’art officiel, renvoyant toujours dans les esprits à ce qu’on appelle « régimes autoritaires » – alors que la politique non autoritaire des pays de l’Union Européenne est décidée en huis clos par la Commission européenne, des commissaires non élus qui ne rendent de compte à personne, et que nos impôts financent les amendes infligées à nos pays en cas de non-respect de ces lois.
L’art officiel n’existerait donc pas, d’où il découle que le ministère de la Culture et la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui financent entre autres les théâtres, ne sont que des hallucinations. Avec un peu de mauvais esprit, on appellerait cela la Matrice.
On se serait tout de même attendu à quelques protestations du milieu culturel contre le CST. Or, le milieu culturel a manifesté encore moins de résistance que les établissements privés (pourtant rares) qui ont continué à accueillir des clients sans les contrôler. En fait, le milieu « culturel » s’est rangé unanimement derrière les diktats du covidisme. En France, même le jusqu’alors valeureux Alexandre Astier, dont le film Kaamelott est sorti en juillet 2021, a cautionné la ségrégation sanitaire. La question se pose du type de contrat qui enchaîne l’âme des artistes, chez qui ne s’est pratiquement pas élevée une voix dissidente. Ils n’ont même pas le droit des bouffons à dire la vérité.
Il aurait été réconfortant, pendant la période de ségrégation que nous avons vécue en Belgique entre novembre 2021 et mars 2022, de lire de la part des institutions culturelles des messages tels que « malgré les réserves que nous inspirent ces mesures, nous nous voyons contraints de les faire appliquer » plutôt que de constater partout le zèle observé comme si c’était normal. Or si ce zèle procédait de convictions sincères, cela pose la question de l’unanimité artificielle, ressemblant étrangement à de la coercition, qui avait recouvert des mesures parfaitement arbitraires et criminelles, unanimité politique, médiatique et culturelle typique des régimes totalitaires(1).
Ne boudons pourtant pas le plaisir de pouvoir retourner au théâtre, même si l’expérience reste à jamais ambivalente et que rien ne sera oublié. Le théâtre Le Public propose entre autres : Le fils de Don Quichotte, pièce qui rencontre un succès mérité. J’y suis allé à la fois pour de bonnes et de mauvaises raisons. Parmi les bonnes raisons, d’assister à cette représentation (mot qui me rappelle la formule de Mehdi Belaj Kacem à propos du premier confinement : nous n’avons pas eu « affaire à […] une pandémie […], mais à la représentation d’une pandémie »), le simple plaisir de retourner au théâtre, l’attraction quichottesque…
Parmi les “mauvaises” raisons il y avait ma curiosité piquée par les propos de l’auteur Anne Sylvain dans l’interview publiée sur le site du théâtre Le Public :
« J’ai entendu les discours complotistes à propos du vaccin […], ces discours me parvenaient assez violemment. Et là encore j’ai reconnu un trait de caractère fort de Don Quichotte. Car c’est un personnage endoctriné par des valeurs livresques, qui considère sa vérité comme supérieure à celle des autres, et que le reste n’a pas le droit d’exister. »
Dommage qu’Anne Sylvain ne fournisse pas d’exemple de ces discours « complotistes » (c’est le propre des mots fourre-tout que de fonctionner comme des boîtes : on y enferme les problème qu’on ne veut pas examiner). Cela dit, le constat que fait l’auteur est un renversement total de la situation puisque ce sont les « discours complotistes » – en réalité l’exercice de l’esprit critique, du scepticisme, qui n’avaient pas le droit d’exister. Or l’interview étant récente, je me demande si elle parle des « discours complotistes » tenus par Janine Small, la représentante de Pfizer (le PDG de cette société multi-récidiviste, Albert Bourla, n’ayant pas daigné se déplacer pour répondre aux questions de ses commanditaires), confirmant au Parlement européen en octobre 2022 que non, le « vaccin » n’avait pas été testé sur la transmission (Anthony Fauci déclarant aujourd’hui que le vaccin n’a pas marché parce qu’il ne pouvait pas marcher(2). Quant à l’endoctrinement par les valeurs livresques, n’est-il pas précisément le mal auquel a succombé la population mondiale début 2020, son attention captée par le fil hypnotique de l’« information », et détournée de la réalité vécue, où presque personne ne mourait de cette maladie, sauf, en France par exemple, dans les incantations mortifères du thanatopracteur Jérôme Salomon.
C’est à se demander si les Don Quichotte ne sont pas les acteurs culturels, qui enfourchent leur cheval, montant parfois sur les plus grands, au service de causes promues par les gouvernements de toutes les démocraties occidentales ? Les causes sont peut-être bonnes… mais elles font oublier que le premier devoir vis-à-vis du pouvoir quel qu’il soit, est une saine méfiance (il devrait en aller de même à propos des “philanthropes” aux moyens illimités)…
La pièce est très physique, très bien emmenée par deux comédiens à la hauteur d’un style vigoureux : Philippe Résimont et Othmane Moumen ; je lui reprocherais seulement de ressembler à un collage dans lequel l’auteur aurait placé Greta Thunberg, les Femen, les expressions toutes faites de Sancho ainsi qu’une référence à Elephant man, autre pièce d’Anne Sylvain dans laquelle a joué Othmane Moumen et qui semble un peu plaqué sur l’ensemble.
En interview, Anne Sylvain ne fait pas mystère de son admiration pour Greta – profond – Thunberg ou pour les FEMEN, qui sont évoquées sur la scène. Mais sortant de la bouche d’un personnage dérangé, on sait ce que vaut leur éloge et cette ambiguïté joue en faveur de la pièce, que l’auteur a eu l’intelligence de ne pas vouloir démonstrative.
Il est peut-être aussi un peu frustrant que rien ne soit déclenché quand un des deux personnages demande « Ne sommes-nous pas dans un théâtre ? », d’autant qu’Anne Sylvain s’était fait intervenir de manière espiègle au tout début de la pièce. « Nous sommes tous des Don Quichotte. » est le message explicite de la pièce. Difficile, en effet, de ne pas s’identifier au chevalier de la triste figure même si sa folie infatigable évoque un sort peu enviable : il aime une femme imaginaire, combat des ennemis imaginaires… La phrase « Nous sommes tous des Don Quichotte » peut être interprétée comme un encouragement à ne pas nous contenter du réel imposé ; ou comme une critique : nous luttons contre des ennemis imaginaires (« Nous sommes en guerre ») faute de les nommer ou de les identifier correctement ; de plus les moulins à vent existent, ils brassent beaucoup d’air et pompent notre énergie, Don Quichotte voit en eux des géants malveillants. Tout fou qu’il est, il n’a peut-être pas tort.
Don Quichotte est donc à la fois pour Anne Sylvain un exemple d’égarement (un personnage emprisonné dans une vision livresque des choses) et un modèle. Faut-il y voir une erreur de lecture, une contradiction ? Ou au contraire une leçon volontaire ou non : le modèle à suivre, ce serait l’égarement ?
Le plaisir du texte ne nous oblige pas à choisir.
Et c’en est tout le mérite.
Ludovic Joubert
Site de l’auteur: https://xyloglosse.net/
- Avec notamment l’annulation, en vertu de la Loi Pandémie, du consentement libre et éclairé, il n’y a plus un aspect de notre vie, jusqu’à notre intégrité physique, qui ne soit sous le contrôle de l’État omnipotent, centralisé.
- https://www.wikistrike.com/2023/02/ce-que-fauci-savait-sur-l-inefficacite-des-vaccins-et-quand.html?utm_source=_ob_email&utm_medium=_ob_notification&utm_campaign=_ob_pushmail