Depuis le débuts des agriculture industrielle, l’usage des pesticides s’est progressivement banalisé dans le monde. Alors qu’ils sont présentés comme produits phytosanitaires, c’est-à-dire chargés de la protection des plantes, il apparaît de plus en plus évident que le terme pesticide avec son suffixe « cide » est le plus approprié. Car les herbicides tuent des plantes, les insecticides tuent des insectes, les fongicides tuent des champignons et des levures et pas uniquement les individus prétendument ciblés.
Dès 1962, la biologiste américaine, Rachel Carson, lançait un pavé dans la mare avec la publication du Printemps silencieux (Silent Spring). Ce livre prémonitoire annonçait la catastrophe écologique à venir avec la disparition programmée des oiseaux. Elle mettait en cause, le produit phare de Monsanto, le DDT, et tous les pesticides organochlorés accusés de menacer le vivant et, en bout de chaîne écologique, l’homme lui-même. Il est vrai que la toxicité des organochlorés est très élevée et qu’ils sont difficilement biodégradables de sorte qu’ils s’accumulent dans les chaînes alimentaires.
Il aura quand même fallu attendre 1978 pour que l’Europe prenne une décision qui s’imposait depuis longtemps (directive 79/117/CEE du 21/12/1978). Cette interdiction n’a eu lieu que du fait de la disponibilité de substances présentées comme moins problématiques pour l’environnement, les organophosphorés, composés de synthèse contenant du carbone et du phosphore. Contrairement aux organochlorés, ils n’ont pas de rémanence significative dans l’environnement ; par contre, ils présentent une toxicité aiguë très élevée. Ils sont donc très dangereux pour les agriculteurs et leurs proches. De même, les carbamates, à la fois insecticides et fongicides, ont un mécanisme d’action comparable à celui des organophosphorés. L’effet produit sur le système nerveux est plus rapide mais moins persistant.
Les risques liés à ces deux familles d’insecticides ont conduit à la mise au point de substituts présentés comme moins toxiques, voire comme quasi-écologiques, les pyréthrinoïdes, dont la structure est inspirée de celle de la pyréthrine, insecticide naturel, présent dans le pyrèthre, une plante voisine du chrysanthème. Mais alors que la pyréthrine naturelle se décompose sous l’effet de la lumière, les pyréthrinoïdes ont une demi-vie nettement plus longue. Par ailleurs, leurs propriétés neurotoxiques les rendent très dangereux pour l’homme en cas d’inhalation ou d’absorption cutanée. Qu’à cela ne tienne, la créativité des scientifiques de l’industrie phytopharmaceutique, est restée performante : les néonicotinoïdes sont apparus pour lutter contre les nuisibles. Pas de chance : il est apparu rapidement qu’ils s’en prenaient aussi aux abeilles et autres insectes pollinisateurs ….
Au rayon des herbicides, après les dérivés de l’acide chlorophénoxyacétique que sont les 2,4‑D et le 2, 4,5‑T , phytohormones de synthèse tristement célèbres pour leur utilisation massive comme défoliants par l’armée américaine lors de la guerre du Vietnam et pour leur contamination par des dioxines, ce sont les triazines qui ont été largement utilisés, notamment pour la culture du maïs. Il s’agit de l’atrazine, de la simazine et de la terbuthylazine. Ces herbicides très rémanents contaminent largement les eaux de surface et les eaux souterraines. Après la simazine, l’atrazine, connue depuis les années 1990 comme perturbateur endocrinien, a finalement été interdite d’utilisation en 2007 dans l’Union européenne. À signaler que la déséthylatrazine, le principal métabolite de l’atrazine, et l’atrazine sont toujours détectés en concentrations élevées dans les eaux souterraines de Wallonie, en raison de leur persistance et de leur mobilité dans les sols et les aquifères.
QU’EN EST-IL DES FONGICIDES ?
Moins souvent mis en cause du fait de leur action sur des êtres vivants moins familiers, les champignons et les levures, les fongicides viennent à juste titre d’être placés sous les projecteurs par un groupe de scientifiques et de médecins français. Ces scientifiques mettent en cause la nouvelle génération de fongicides, les SDHI (ou inhibiteurs de la succinate déshydrogénase) Il s’agit de nouveaux représentants de cette famille connue et utilisée depuis les années 1960–1970, plus efficaces. Désormais utilisés à grande échelle, ces SDHI se retrouvent dans nos assiettes à travers la contamination des aliments et sont ainsi susceptibles d’entraîner des dérèglements cellulaires chez l’homme.
Se basant sur l’insuffisance des tests toxicologiques préalables à leur autorisation de mise sur le marché, ces scientifiques lanceurs d’alerte appellent à une suspension de l’utilisation des SDHI. Cette saga des pesticides qui s’étale sur 7 décennies est marquée par une succession d’innovations technoscientifiques qui ont donné naissance à de nouvelles familles présentées à chaque fois comme plus performantes et moins problématiques pour l’environnement et la santé humaine. À chaque fois, il s’est avéré malheureusement que des effets destructeurs non envisagés ont été mis à jour après coup.
QU’EN EST-IL EN RÉALITÉ ?
Les faits montrent que la vision guerrière des tenants de l’agriculture industrielle selon laquelle il faut éliminer insectes ravageurs, mauvaises herbes, moisissures et champignons qui perturbent les cultures et réduisent les rendements, grâce à un arsenal de produits chimiques conçus à cet effet n’est pas réaliste. Elle provoque en effet des dégâts écologiques et sanitaires irréversibles. L’effondrement de la biodiversité en cours depuis de nombreuses années atteint aujourd’hui un niveau critique dénoncé par de multiples études récentes.
Les dégâts à la santé, largement documentés depuis de nombreuses années, sont généralement contestés tant par les firmes productrices de pesticides que par les institutions en charge de la santé publique crispées sur l’exigence de mise en évidence d’une relation cause-effet concluante. Mais les preuves s’accumulent et l’année 2018 a vu s’effondrer les certitudes des experts prétendument garants de l’innocuité des pesticides mis sur le marché.
Il y a bien sûr le jugement rendu le 10 août 2018 par un tribunal californien condamnant la firme Monsanto à verser 289,2 millions de dollars à un jardinier américain Dewayne « Lee » Johnson. Âgé de 46 ans et père de deux enfants, il est en phase terminale d’un cancer du système lymphatique, qu’il attribue à une exposition aux herbicides Ranger Pro et Roundup Pro contenant du glyphosate et commercialisés par Monsanto. Ce jugement est d’autant plus important que le Roundup est l’herbicide le plus utilisé à ce jour. Il met en outre sérieusement en question la position de l’EFSA (l’organisme européen chargé de l’évaluation préalable à l’autorisation de mise sur le marché d’un pesticide) qui considère le glyphosate comme non cancérogène, en totale contradiction avec le CIRC (centre international de recherche sur le cancer) qui a classé le glyphosate « cancérogène probable » en mars 2015.
Autre coup dur, plus décisif encore car il ébranle définitivement les certitudes des partisans d’une utilisation « raisonnée » des pesticides, est la publication de la revue Environnemental Health Perspective du 27 juin 2018. Les chercheurs de l’INRA et l’INSEN, deux institutions non suspectes d’écologisme militant, ont mis en évidence les effets combinés sur des rongeurs d’une alimentation contaminée par un cocktail de 6 pesticides, à des niveaux considérés comme inoffensifs :
- forte prise de poids, augmentation du taux de graisse et diabète chez les mâles ;
- autres effets plus subtils chez les femelles.
Ceci confirme les résultats de l’étude d’une cohorte de 69.000 personnes qui suit leurs habitudes alimentaires : les plus gros consommateurs d’aliments bio ont un risque moindre de souffrir de surpoids et d’obésité et de développer un syndrome métabolique ( précurseur du diabète de type 2).
La présomption d’un lien de causalité entre une exposition permanente aux résidus de pesticides dans l’alimentation et le risque de troubles du métabolisme est manifestement fortement renforcée.
Aujourd’hui, il est devenu très clair que la politique d’utilisation « durable » des pesticides et de prétendue réduction de leur utilisation est un échec total. Non seulement, il n’y a pas de réduction mais les résidus de pesticides dans l’environnement et l’alimentation sont toujours aussi présents qu’il y a 30 ans. La conclusion la plus réaliste à tirer de ces faits accablants a été proposée aux citoyens suisses au cours de l’année écoulée. Une pétition demandant l’interdiction de tous les pesticides de synthèse a recueilli 100.000 signatures. Ce résultat entraîne selon la loi suisse l’organisation prochaine d’un referendum qui tranchera en toute légalité.
Ainsi s’ouvre pour tous les pays voisins la voie pour une interdiction qui mettrait fin définitivement à une politique d’empoisonnement systématique de notre milieu de vie et de nos enfants au nom d’une illusoire compétitivité de l’agriculture.
Paul Lannoye
Président du Grappe
Docteur en Sciences.