Culture de la pauvreté et de la sobriété heureuse

(1) Thierry Brugvin

Les cultures populaires sont généralement l’objet d’attitudes condescendantes et stigmatisantes de la part des classes sociales non-populaires. Ceci parce qu’elles considèrent souvent que la culture populaire est une sous-culture de la culture bourgeoise. Même les sociologues et des travailleurs sociaux qui cherchent à soutenir les classes populaires estiment majoritairement que les classes populaires, et les plus pauvres développent une culture de la pauvreté qui enferme ces populations dans un cycle de misère. Ainsi, « la culture de la pauvreté » a été théorisée par l’anthropologue américain Oscar Lewis dès 1959(2). A partir de monographies de familles habitant Mexico, il décrit un « cycle de la pauvreté », provenant du fait que les pauvres développeraient un système de valeurs leur permettant de faire face à la misère, mais qui les maintient dans leur condition(3)

Or, pour des auteurs comme Rahnema et Robert, la misère est différente de la pauvreté . Tandis que les miséreux sont fragiles, ils affirment qu’il existe une « puissance des pauvres » dans leur livre du même nom. Selon eux, «il faut régénérer les savoirs multiples et divers des plus pauvres», des classes populaires et des cultures traditionnelles. «Il faut ensuite subordonner les savoirs affichés de l’économie formelle à ces savoirs modestes, locaux et multiples qui permettent aux gens de subsister là où ils sont de ce que leur offrent leurs lieux propres. Une doctrine de l’économie contenue tient, comme une coquille de noix, en ces deux points. Elle va avec la demande de simple bon sens qu’en matière de circulation urbaine, on favorise la marche à pied ou le vélo contre les voitures»(4)

La pauvreté conviviale et volontaire relève du «vivre ensemble sur les principes de simplicité, de solidarité, de frugalité, de partage, du sens de l’équité »(5). La satisfaction des besoins essentiels physiques, matériels et psychologiques est l’une des conditions de ce bien vivre. La simplicité volontaire vise à se simplifier la vie, accroître le bonheur de vie et atteindre une « vie bonne » grâce au détachement des besoins non essentiels. 

Dans ce cadre, les mouvements pour la justice environnementale prônent une écologie des pauvres, c’est-à-dire une écologie non pas contre les pauvres, mais au service de tous, donc pas seulement au service des plus riches. De plus, certains d’entre eux, en particulier dans les pays en développement, défendent un mode de vie qui puisse être compatible avec une répartition des ressources écologiques non renouvelables. Mais ils n’en font pas que la promotion: ils le vivent concrètement. 

Ainsi, la culture de la pauvreté est en relation avec la puissance des pauvres. Cette dernière permet d’affirmer la fierté de sa culture, voire d’une culture de la pauvreté, même s’il faut savoir éviter l’écueil d’une société à deux vitesses, dans laquelle la pauvreté deviendrait un secteur en soi, ad vitam aeternam, permettant aux plus riches de vivre égoïstement. 

Il y a deux excès possibles. Le premier consiste dans l’attitude caritative conduisant à une politique libérale, car l’État se débarrasse de sa fonction de solidarité sur les associations caritatives ; l’autre excès réside dans l’attitude idéaliste naïve, manipulatrice ou instrumentalisée aboutissant à une politique décroissante libérale, car la décroissance porte cette fois sur les plus pauvres afin que les plus riches puissent continuer à croître plus longtemps. Il existe cependant une troisième voie, qui regroupe différents courants, tels que le mouvement pour la justice environnementale, ou pour l’écologie de la pauvreté, ou encore pour l’écologie de la sobriété heureuse (du buen vivir). Cette nouvelle voie regroupe certains des membres d’anciens groupes : le courant écologiste, le mouvement égalitariste pour la justice sociale, celui de la simplicité volontaire, la culture des pauvres, la culture populaire et traditionnelle. 

Dans ce dossier, nous commencerons par expliquer ce qu’est la culture de la pauvreté, puis définirons la simplicité volontaire et la révolution culturelle de la sobriété heureuse. Nous distinguerons 8 types d’attitudes autour de la culture et des classes bourgeoises et populaires. Enfin, nous montrerons que développer la puissance des pauvres et lutter contre la misère suppose aussi de concevoir des projets de développement locaux et internationaux fondés sur trois piliers: la satisfaction des besoins essentiels, l’autonomie et l’identité culturelle. 

Notes et références
  1. Ce dossier a été rédigé collectivement sous la direction de Thierry Brugvin, par David Dutech, Stéphanie Le Deist, Natacha Bouron, Camille Chretien, Simon Guier, François Mignard, Marion Dentre, Camille Robert, Léocadie Delessard, Julie Haddad , Charlotte Bernard , Diane Voituret.
  2. Lewis O., La Vida : A Puerto Rican Family in the Culture of Poverty, San Juan and New York, Random House, 1966.
  3. Lazarus Jeanne, Les enjeux de la sociologie de la pauvreté, CERISCOPE Pauvreté, 2012.
  4. Rahnema Majid et Robert Jean, La puissance des pauvres, Actes Sud, 2008, p. 263.
  5. Rahnema M., Robert J., 2008, p. 52.

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