« Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien » à Gaza

« Nous sommes devenus désespérés dans notre recherche quotidienne de pain , dans ce qui est désormais devenu la mission première de notre vie, nous dépouillant de notre humanité et de notre dignité. Nous faisons semblant de ne pas prêter attention aux missiles israéliens qui déferlent au-dessus de nos têtes ; ce qui compte, nous disons-nous, c’est de nourrir nos familles. Mais nous nous mentons. » (témoignage d’un Gazaoui paru dans le média israélien +972, 6 décembre, au titre évocateur : « Survivre un jour à Gaza, c’est affronter le danger du lendemain »).

Les informations concernant Gaza sont de plus en plus chaotiques et folles. Jamais dans l’histoire des guerres, autant d’images effroyables, en temps réel, nous parviennent. Face à l’indicible horreur, il est difficile de prendre du recul. Devant une apparence d’échec de l’offensive israélienne sur la partie nord de Gaza, après 2 mois de massacres de civils, observés en direct, mais aussi de pertes israéliennes mal appréciées (celles annoncées par Israël sont très différentes de celles annoncées par la résistance palestinienne), il semble que l’armée israélienne ait provoqué un surcroît de violence contre les civils après la semaine de trêve, cette fois également au sud de la Bande de Gaza, par le biais d’un programme d’IA qui remplace en le multipliant le travail humain de recherche de cible, sans plus aucun soucis pour les pertes « collatérales ».

Comme si le sang des militaires israéliens devaient se racheter par du sang des enfants et des femmes palestiniens, en torrent. Non, ce ne sont pas des poupées en plastique. Ou ces images qui nous montrent des razzias d’hommes dépouillés de leur vêtement, des civils selon le journal israélien Yedioth Ahronoth. Ceux qui en sont revenus témoignent de conditions de détentions dignes d’Abou Ghraib. Nous pensions cela d’un temps révolu : non.

À notre décharge, fièrement assis devant nos écrans, nous applaudissons les déclarations bravaches de nos élites politiciennes en faveur de couloirs humanitaires et autres bonnes intentions, pendant que les mêmes fournissent des tombereaux d’armes aux bourreaux. De toute façon, devant la répétition des horreurs, elle devient banale, comme avec ces jeux videos que nous chérissons tellement, et la lassitude nous gagne.

Les chiffres ne veulent plus rien dire, d’ailleurs d’autres sont proposés qui doublent, triplent, ceux officiels sur lesquels nous nous basons tout en sachant la quasi impossibilité de réaliser un « comptage » dans le chaos actuel.

Des 14 hôpitaux encore plus ou moins debout que j’annonçais lors du précédent billet, seulement 4 semblent encore fonctionnels. Avec notamment les cadavres qui se décomposent et les détritus qui s’amoncellent, les eaux sont gravement souillées. Les mouches, les rongeurs et autres vecteurs de maladies sont également de la fête, les épidémies sont là. Les diarrhées sont omniprésentes, en outre des cas de fièvre typhoïde et peut-être de choléra sont signalés (autres maladies véhiculées par l’eau). Aux infections pulmonaires s’ajoutent les lésions et maladies de la peau. La famine, bien présente, fragilise encore plus ces populations dans le dénuement le plus complet, etc. Sur base du ministère palestinien de la santé, pour ce 11 décembre : environ 19 000 tués, dont 70 % sont des femmes et des enfants (environ 7500), environ 51 000 blessés et plus de 10 000 disparus. L’OMS (8 décembre) se lamente : « la population est contrainte à un scénario horrible dans lequel toute la société civile s’effondre ».

Sans une fin immédiate de cette violence extrême, accompagnée d’une aide sanitaire et humanitaire de très grande ampleur, croyez-moi, les chiffres actuels sont une farce face à ce qui attend les Gazaouis.

« Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ». Oui, mais pas pour tous.

Christophe de Brouwer
Full-professeur honoraire et ancien président de l’École de Santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (15 décembre 2023)

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