Alors que j’avais été invité à débattre pour une soirée inaugurant le lancement d’une chaîne internet, la Une TV, les conditions de la soirée ne permirent pas(1) d’exprimer longuement une pensée construite. Ceci explique que nous écrivions ce qui suit, indispensable rappel à ceux qui verraient dans le « Covid » l’occasion de refaire comme avant.
Si l’on peut se réjouir du sursaut collectif autour de la nécessité de lutter contre le techno-totalitarisme covidien, de nombreuses questions demeurent.
La liberté, d’accord, mais laquelle ?
Des gens évoquent sans cesse la liberté que le covidisme leur aurait prise, et la nécessité de retrouver celle-ci. Mais que signifie cette liberté ? Si d’aucuns avaient saisi que la rengaine « ma liberté s’arrête là où commence celle des autres », n’était qu’un subterfuge visant, dans nos systèmes capitalistes profondément iniques à faire accepter au sujet sa condition et celle, « supérieure », que l’autre lui imposait, il demeurait aujourd’hui que ce mot « liberté » était tout à fait flou, bien avant le totalitarisme covidien d’ailleurs.
Car qu’est-ce que la liberté :
- quand, en dehors de l’Occident : nos modes de vie reposent sur le pillage des matières premières de l’Afrique et la main‑d’œuvre de l’Asie (et vice-versa, outre les autres exploités) ? Il n’a pas fallu attendre le Covid pour qu’un enfant meurt de faim – sans évoquer l’exploitation, le viol, la torture et les assassinats – toutes les cinq secondes, conséquence directe de nos modes de vie occidentaux (c’était l’époque où Jean Ziegler était rapporteur spécial pour le Droit à l’alimentation aux Nations Unies. Maintenant, c’est sans doute pire, puisque tout « progresse »…) ;
- quand, en Occident : nous savons que les inégalités se creusent et que, plus que jamais, les femmes de ménage des classes moyennes ne sont jamais des filles d’avocats ou de médecins(2), alors qu’un foyer sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté. Les pauvres ne font pas des riches – les thuriféraires de la mobilité sociale ont de plus en plus de mal à se justifier à l’heure où le « qui veut peut » américain ne trouve plus aucun fondement dans la réalité.
La liberté devrait donc se redéfinir, notamment par ceux qui ne peuvent participer à sa définition. Je doute que les oubliés des barrios et autres quartiers « défavorisés » aient la même définition de la liberté que ceux issus des quartiers bourgeois et huppés. Pour ces derniers, la vision du monde, donc de l’égalité, de la fraternité et de la liberté, sera souvent totalement différente de celle qu’en a le monde « d’en haut ». Là où les premiers pourront se considérer comme les victimes d’un monde injuste – sans pour autant qu’ils n’aspirent pas à devenir comme ceux qui les dominent présentement(3) –, les autres chercheront à légitimer leur position, générant tous les moyens symboliques de la conserver (les sociétés caritatives, qui ne sont au fait que palliatives, en offrant le meilleur exemple). Le Covid a privé ces derniers de beaucoup de « libertés » que les premiers n’avaient jamais eues, ou ne bénéficiaient plus depuis longtemps (il suffit de se promener dans les quartiers pauvres des grandes villes).
On sait aussi, et sans doute toutes classes confondues, à des niveaux variables bien évidemment(4), que les individus ont troqué leur liberté contre un confort et une sécurité illusoire.
Ces questions en amènent inévitablement une autre, en cette période covidienne, inédite mais prévisible pour certains :
- où étaient les nouveaux contestataires avant l’ère covidienne, alors que tout allait déjà mal et que la liberté n’était plus qu’un luxe pour une frange occidentale privilégiée ?
De cette question en découlent deux autres :
- certains profitent opportunément du Covid pour défendre des causes moins nobles que celles de la Liberté, du bien commun (d’où ces multiples officines d’opposition contrôlée pas toujours aisément identifiables), espérant retrouver « l’horreur-beauté du monde d’avant » dont ils tiraient un bénéfice libertarien ;
- D’autres grandissent politiquement grâce à l’ère Covid – faut-il encore les distinguer des premiers, ce qui n’est pas toujours chose facile.
Il faut rappeler que nous étions déjà, depuis des décennies, dans une société profondément indécente, où quasiment tous les objets de notre usage quotidien étaient le fruit d’une exploitation de la nature et de l’humain. Si vous n’en étiez pas conscients par déficit d’information ou/et déni, nous entendons la difficulté de la période de conscientisation actuelle ; si vous en refusiez la conscience par pur intérêt, nous comprenons que le Covid n’est qu’un sursaut pour un retour vers le passé, apeurés que vous êtes de perdre vos privilèges.
Nous ne soutiendrons que ceux qui voient dans la période actuelle une occasion altruiste. Les autres sont ceux qui feront le « monde Covid », qu’ils le veuillent ou non.
Le monde d’avant ne reviendra pas. Nous sommes devant deux choix.
- Et ce n’est nullement un reproche. Les participants étaient au nombres de 44 et la durée de l’émission de trois heures. Note du 3/08/21, suite à quelques commentaires: le but de l’article n’est pas de porter un jugement sur les invités de Richard Boutry pour le lancement de la UneTV, mais d’offrir une analyse développée bien avant l’émission et que j’aurais voulu partager ce soir là, ce que je n’ai pu faire faute de temps.
- Encore servent-elles à rétablir faussement une égalité de genre dans le couple bourgeois, au détriment de l’égalité de classe, donc économique, dont le couple bourgeois n’a que faire.
- Ce qui concourt le plus fortement à maintenir ce système inégalitaire et destructeur. À ce sujet, lire Thorstein Veblen.
- Là où l’un s’offrira sa Porsche Cayenne Hybride et sa villa dans les beaux quartiers, l’autre s’offrira sa Porsche Cayenne essence dans les quartiers moyens, l’autre sa villa Thomas et Piron et sa BMW, l’autre sa télé à écran plat et son « all inclusive » en Italie, l’autre son écran plat… soit, tous auront l’impression d’en profiter, cela faisant que personne, quels que soient les niveaux d’inégalité, ne voudra ne pas en profiter, et donc encouragera la pérennité du système en place.