Vous n’appréciez pas les OGM? On va vous faire goûter les AGM!

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Le débat sur l’utilisation des organismes génétiquement modifiés (OGM) en agriculture ne cesse de rebondir. Les militants, arracheurs de pommes de terre transgéniques de Wetteren, qualifiés judiciairement de vandales ont le grand mérite d’avoir à nouveau replacé les projecteurs sur un enjeu essentiel, celui des finalités de la recherche scientifique.

Non, la recherche scientifique n’est pas a priori vertueuse, désintéressée et porteuse de progrès pour l’humanité, comme le proclament, avec assurance, les experts en manipulation génétique. Il n’est pas acceptable de taire les intérêts marchands des multinationales de l’agroalimentaire engagées dans la commercialisation des végétaux génétiquement modifiés et de masquer les liens qui les unissent aux scientifiques prétendument objectifs chargés d’évaluer leurs effets sur les écosystèmes et sur la santé. Il ne l’est pas plus de faire l’impasse sur les conséquences à long terme de modifications génétiques expérimentées en laboratoire et a fortiori en milieu non confiné, dès lors qu’elles sont susceptibles tôt ou tard de dépôts de brevets et d’applications «économiquement rentables».

Bien peu d’entre nous, surtout s’ils n’étaient pas nés à l’époque, savent que, dès les années 1980, des manipulations génétiques sur l’animal ont eu lieu. Le but: modifier l’organisme animal pour l’améliorer, c’est-à-dire le rendre plus efficace donc plus rentable dans la fonction qui lui est assignée par l’homme.

Trois types d’interventions, par insertion d’un gène étranger, ont été pratiquées depuis 30 ans et ont conduit à la production d’animaux transgéniques, soit destinés à l’élevage, soit transformés en usines pharmaceutiques, soit pour servir de modèles cliniques en recherche médicale.

La levée de boucliers des associations de protection animale et, plus généralement, les avis négatifs exprimés lors d’enquêtes d’opinion effectuées dans l’Union européenne, ont freiné l’émergence des applications clairement économiques. Spontanément, beaucoup de gens estiment en effet que les droits élémentaires et la dignité des animaux sont bafoués; les animaux sont réduits à l’état de machines et totalement niés comme êtres sensibles. Mais cela n’a pas empêché les chercheurs de par le monde (essentiellement au Canada et aux Etats-Unis) de manipuler les espèces potentiellement les plus intéressantes pour une éventuelle «amélioration» de la production alimentaire. A cet égard, les poissons d’aquaculture et les porcs d’élevage ont fait l’objet de toutes les attentions. Sont nés ainsi successivement le saumon atlantique géant et le porc transgénique Enviropig.

Le saumon géant, mis au point au début des années 1990, est doté d’un gène de croissance étranger qui lui permet d’atteindre une taille 5 à 6 fois supérieure à celle de son homologue normal après 12 à 18 mois d’élevage.

En étudiant les espèces aquatiques résistantes aux basses températures, les chercheurs ont identifié un gène d’une espèce d’anguille de l’Atlantique du Nord-Ouest (au large des côtes de la Nouvelle-Angleterre) qui confère à ce poisson une résistance au gel lui permettant de survivre dans les eaux à une température très basse.

En dotant de ce gène le saumon atlantique, le développement de l’aquaculture du saumon peut être étendu aux zones où la température de l’eau de mer est très basse en hiver.

En 2001, les chercheurs de l’Université de Guelph (au Canada encore) ont mis au point un porc transgénique, qui grâce à l’introduction d’une combinaison transgénique impliquant la bactérie e. coli et de l’ADN de souris, digère l’acide phytique contenu dans les aliments, lequel acide phytique entraîne le rejet de grandes quantités de phosphore dans les déjections. Or, le phosphore est un des principaux polluants des cours d’eau et des nappes phréatiques par le lisier de porc. L’Enviropig est donc un porc « écologique » par la grâce du génie génétique…(1)

Si l’Enviropig a vu sa demande d’autorisation de mise sur le marché (déposée en 2009) rejetée tant au Canada qu’aux Etats-Unis, ce qui lui interdit un avenir commercial à court terme, il n’en est pas de même, avec le saumon AquAdvantage de la société américaine Aquabounty.

Ce saumon, baptisé Frankenfish par les opposants au projet, est doté d’un gène de résistance au gel et d’un gène du saumon du pacifique qui lui permet d’atteindre sa taille adulte deux fois plus vite que son congénère non OGM.

Soumis, aux Etats-Unis, à l’approbation de la FDA (Food and Drug Administration), il a reçu un avis favorable le 21 décembre 2012.

La FDA a estimé que ce saumon transgénique n’entraînait aucun danger tangible pour l’environnement. Aquabounty reconnaît pourtant qu’il ne peut garantir le confinement parfait de ses piscicultures (2); quand on connaît les conséquences potentielles de l’évasion de poissons transgéniques, on ne peut que s’insurger devant tant de légèreté.

En 1998, lors du colloque que j’ai eu l’opportunité d’organiser au Parlement européen, un des meilleurs spécialistes en la matière, Kjetil Hindar, de l’Université d’Oslo, s’exprimait en ces termes: «Si les évasions de poissons transgéniques sont du même ordre que celles qui se produisent aujourd’hui dans les piscicultures, l’avenir ne se composera plus de saumon sauvage, mais bien de saumon transgénique devenu sauvage»(3).

Au moment où j’écris ces lignes, on ne connaît pas encore la décision de la FDA concernant la demande d’autorisation du Frankenfish comme nouvel aliment. Si, comme c’est probable, le feu est au vert, alors la voie sera libre pour une nouvelle vague de demandes concernant les AGM (animaux génétiquement modifiés).

L’Europe n’est pas, à ce jour, soumise à ce type de demande. Ce serait toutefois faire preuve d’une coupable insouciance de négliger le risque qui se profile. Dès lors que l’Union européenne est en passe d’entamer des négociations avec les Etats-Unis pour établir une zone de libre-échange transatlantique, la reconnaissance mutuelle des normes environnementales et sanitaires en vigueur de part et d’autre sera au menu. L’issue de ces négociations est prévisible, d’autant que les cousins européens des Etats-Unis sont très demandeurs : en avril 2013, la naissance de Pig 26, un porc génétiquement modifié créé par le Roslin Institute d’Edimbourg (Ecosse), a été annoncée avec fierté au Royaume-Uni.

Pig 26 est programmé pour résister à la peste porcine africaine. Il est né là où, en 1996, est née Dolly, la célèbre brebis clonée.

La voie est en train de se dégager pour les animaux génétiquement modifiés…

Paul Lannoye
Notes et références
  1. Christian Vélot, OGM, tout s’explique, éditions Goutte de Sable, 2009
  2. “Food and Water Watch: genetically engineered food- an overview”, www.foodandwaterwatch.org , mai 2012.
  3. Paul Lannoye, Transgénique : le temps des manipulations, Ed.Frison-Roche, Paris, 1998.

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