« Vivaldi », une coalition dénucléarisée ?

« Le calendrier légal de sortie du nucléaire sera respecté, comme prévu ». Fin novembre 2021, un rapport sera produit. S’il « montre qu’il y a un problème inattendu de sécurité d’approvisionnement, le Gouvernement prendra des mesures adéquates comme l’ajustement du calendrier légal pour une capacité pouvant aller jusqu’à 2 GW ». C’est ce qu’on peut lire dans le rapport des formateurs du nouveau gouvernement du 30 septembre 2020, constitué par une coalition de sept partis dite « Vivaldi ». Cette formulation rappelle méchamment celle de la loi de sortie du nucléaire de 2003 qui actait la prolongation des 7 réacteurs de 30 à 40 ans tout en « assurant » leur fermeture au bout de ces 40 ans, fermeture énoncée dans des termes similaires à ceux émis dans le rapport Vivaldi. On sait ce qu’il en a été : vu le laxisme des gouvernements successifs, cette loi de 2003 a abouti à la prolongation de 10 ans du réacteur T1 en 2012 sous le gouvernement Di Rupo et des réacteurs D1 et D2 en 2015 sous le gouvernent Michel.

Bien entendu, le contexte énergétique et politique est aujourd’hui très différent de celui de 2003, examinons-en quelques éléments :

  • Depuis 2012, la filière nucléaire démontre à l’envi son manque de fiabilité. En effet, son taux d’utilisation est passé de 90–94 % avant 2012 à une moyenne de 70 % (il avait été de 94 % en 1999). Il faut rappeler que le nucléaire est prioritaire sur toutes les autres filières et que les réacteurs produisent toujours au maximum de leur capacité du moment quitte, en cas de production en excès, à par exemple arrêter les éoliennes off-shore ou à vendre à perte sur le marché international.
  • Ni la prolongation de deux réacteurs en 2025 ni le CRM(1) ne sont une nécessité absolue comme cela apparaît dans le mémorandum de la CREG(2) du 9 juillet 2020 à l’attention du formateur pour le gouvernement fédéral. Concrètement, cela a été illustré par le fait que du 1er septembre au 15 décembre 2018 la capacité des centrales nucléaires n’a pas dépassé les 2 GW et même le GW (1 seul réacteur en fonctionnement) pendant 1 mois à partir du 14 octobre, mais qu’à aucun moment la Belgique n’a été menacée de blackout ni même d’un délestage partiel. Mieux, à tout moment, la capacité de réserve était au minimum de 3,7 GW, dont près de la moitié en capacité domestique : la Belgique aurait donc pu se passer de l’ensemble des réacteurs pendant toute cette période.
  • Cette nécessité de prolongation et/ou du CRM est basée sur l’étude d’adéquation(3) du gestionnaire du réseau de transport (Elia) de 2019 qui malheureusement n’a pas été mise à jour en 2020 pour corriger ses biais, malgré la demande de membres de l’administration fédérale et de partis politiques(4).
  • Décider en novembre 2021 de prolonger 2 réacteurs serait trop tard selon Engie qui invoque le délai de 18 à 24 mois nécessaire pour réaliser l’étude d’incidence environnementale(5) suivi de 30 à 36 mois pour préparer un réacteur à une prolongation, l’étude d’incidence et les travaux devant être réalisés avant la date de l’arrêt prévu par la loi de 2003 (le 1er juillet 2025 pour D4 et le 1er septembre 2025 pour T3)(6), ce qui fait un délai total de 4 à 5 ans. On peut penser qu’Engie y met de la mauvaise volonté et aimerait enfin être débarrassé des réacteurs belges : en effet, en juin 2018, Isabelle Kocher, la numéro 2 d’Engie à l’époque, avait tenté de les vendre à EDF, ce « nid à emmerdes pour Engie » comme les avait qualifiés un dirigeant français du secteur(7). Mais, d’une part Engie avait demandé une position claire sur la prolongation avant fin 2020, et d’autre part le délai pourrait bien être plus long que dit en tenant compte des recours qui pourraient être posés à la suite de l’étude d’incidence, ce qui semblerait rendre la mission impossible dès à présent. Ce qui ne peut que réjouir ceux qui ont compris qu’il n’est pas possible d’assurer l’approvisionnement en électricité du pays sur la base de réacteurs qui, d’année en année, démontrent leur manque de fiabilité, et l’aberration économique et énergétique d’une prolongation de réacteurs obsolètes ayant largement dépassé leur durée de vie initiale(8). Sans parler du risque encouru au vu d’un accident pas du tout improbable et de la gestion des déchets de haute activité et de longue durée sans solution.
  • Un dernier élément non des moindres : la nouvelle ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten, est membre du parti vert flamand (Groen). Écolo et Groen assumeraient-ils une prolongation de deux réacteurs en 2025 au risque de voir leurs électeurs les abandonner en nombre ?

Tout le monde le sait aujourd’hui, un programme fort d’économies d’énergie, d’électricité en particulier, et des ressources non renouvelables est indispensable pour remplir les objectifs climatiques et se préparer aux pénuries à venir. C’est pourtant le parent pauvre de l’accord du nouveau gouvernement qui, par exemple, a bien l’intention de pousser au déploiement de la 5G ce qui se traduira par une augmentation de la consommation d’électricité du pays de plus de 2 %, mais aussi une croissance substantielle de celle des autres ressources énergétiques et des métaux(9) (« Le Gouvernement fédéral organisera la mise aux enchères de la 5G dès que possible », page 70 du rapport des formateurs). Il est possible que la fermeture définitive des réacteurs ait lieu en 2025, mais il est par contre certain que ce gouvernement engage le pays dans la poursuite d’une voie que de plus en plus de citoyens considèrent comme sans issue.

Notes et références

  1. CRM : mécanisme de rémunération de capacité, un mécanisme qui doit permettre de subsidier la construction de nouvelles centra­les à gaz. Le CRM belge, concocté avec une lenteur qui pose question par la ministre de l’Énergie précédente, doit encore recevoir l’approbation de la Commission européenne, ce qui devrait encore prendre près d’un an. Bien sûr, le gouvernement belge pourrait décider de ne pas attendre la Commission s’il y avait urgence (construire une nouvelle centrale à gaz devrait prendre environ 3 ans).
  2. CREG : Commission de Régulation de l’Électricité et du Gaz, l’organisme fédéral pour la régulation des marchés de l’électricité et du gaz naturel en Belgique.
  3. Adéquation entre la capacité d’approvisionnement en électricité et la demande.
  4. Elia, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité à haute tension belge (30 000 à 400 000 volts), est une entreprise privée dont le bénéfice net était de 216,6 millions d’euros en 2017 (Belgique et Allemagne). N’est-il pas surprenant que cette société privée ait la prééminence sur la CREG pour conseiller le gouvernement sur ces questions de planification, comme démontré tout au long de la législature précédente sous la houlette de la ministre Marghem ?
  5. Contrairement aux précédentes prolongations de réacteurs, suite à l’avis rendu par la Cour de justice de l’Union européenne en 2019 à propos de la prolongation des réacteurs D1 et D2, le gouvernement ne pourra plus « échapper » à cette étude d’incidence en respect de la convention d’Espoo sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière et la convention d’Aarhus sur la participation du public en matière d’environnement.
  6. Remarquons au passage que ces travaux réduiront encore le taux d’utilisation des réacteurs.
  7. Le Canard Enchaîné du 26 septembre 2018.
  8. La leçon du réacteur D1 n’a pas suffi : en effet, en avril 2018, après la prolongation de son exploitation de 40 à 50 ans, ce réacteur a été arrêté pendant 11 mois en raison d’une fuite dans le circuit d’eau de refroidissement primaire, un « incident » qui de plus aurait pu avoir des conséquences graves.
  9. « Impact du déploiement de la 5G sur la consommation de l’énergie et le climat », Kairos nº 46, octobre 2020.

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