SCHIZOPHRÉNIE NORMALISÉE

La rédaction de Charlie-Hebdo se fait massacrer, les chefs d’État criminels se réunissent en tête de cortège à Paris pour défendre la liberté d »expression ; Christine Lagarde, dont le salaire à la tête du FMI dépasse les 30 000 euros par mois(1) fait une allocution à Bruxelles, lors des Grandes Conférences Catholiques, et le journal La Libre, partenaire de l’événement, reprend ses propos cyniques et spécieusement philanthropes : « Nul besoin d’être altruiste pour soutenir des politiques qui rehausseront les revenus des pauvres et des classes moyennes. Tout le monde y gagne, car ces politiques sont indispensables pour rendre possible une croissance économique plus vigoureuse, plus solidaire et plus soutenable » ; ceux qui ont tenu et tiennent tête aux injonctions de la Commission et des vautours du FMI et de la banque mondiale en Grèce sont tancés par Jean-Claude Juncker et sa clique. Celui qui fait la leçon est l’ancien premier Ministre du Luxembourg, paradis fiscal notoire, dont les responsabilités dans le Luxleaks sont plus que troubles, et qui sera remercié en devenant, en 2014, Président de la Commission ; Freddy Thielemans tente de convaincre la populace des bienfaits de nouveau méga centre commercial Néo au Heysel… et quitte son mandat de bourgmestre pour profiter des… bienfaits financiers comme secrétaire général du Parc des expositions de Bruxelles(2).

Défense de la liberté d’expression de la part des censeurs, promotion de l’égalité au service de l’inégalité, remontrances morales de la part d’un laquais des banquiers voleurs, confection d’un trône privé orchestrée depuis le public. Cherchez l’erreur !… il n’y en a pas. Ces quelques exemples ne sont que l’illustration de l’arrogance inacceptable et acceptée, dont les hérauts sont assurés que les contradictions indécentes de leur manifestations et de leurs propos resteront silencieuses, tant les médias de masse s’emploient à décrire leurs gesticulations sans jamais les mettre en lien et nous éclairer sur leurs enjeux. Leur statut même leur confère leur prestige et leur caractère intouchable. Mais si elles sont acceptées, c’est aussi que nos cerveaux ont été préparés à le faire et que nous avons toute une pensée du monde qui nous rend ces contradictions invisibles: peu de responsabilités, par exemple, dans la pauvreté dès lors que le seul effort permettrait, selon le mythe, d’accéder à la richesse ; aucune révolte, ou si peu, quand on nous annonce qu’un footballeur belge touchera 330 000 euros par semaine de 5 jours, donc 66 000 euros par jour, soit 8 250 euros de l’heure si on lui compte des journées de travail de huit heures. Mais beaucoup, encore, restent les yeux rivés sur l’écran qui passe le dernier match. Normal quand la norme est l’absence de limites. L’indécence suprême, c’est celle de ne même plus la voir, et donc de ne pas trouver de raison de s’indigner.

Ce que certains perçoivent comme des contradictions ne seraient toutefois pas les manifestations pathologiques d’un corps sain, mais sont bien plutôt les signes du fonctionnement normal d’un système destructeur où certains luttent pour le maintien de leurs avantages tout en continuant à faire croire qu’ils œuvrent pour le bien commun. La moralité dans ce spectacle est un jeu.

La barbarie n’est pas à venir, elle est bien présente et en amélioration constante. Et le maintien de l’indifférence et de l’acceptation présage le pire. La bonne pensée occidentale évoquera toujours la barbarie chez l’autre, percevra en lui le monstre, lui renvoyant en retour l’image de société moderne et aboutie que les « sauvages » se devraient d’imiter. C’est pourtant bien l’Occident qui a l’apanage du terrorisme, lui qui pille et tue pour maintenir un mode de vie « non négociable ».

Attribuer constamment la faute à l’autre, percevoir en lui le « barbare », c’est tacitement définir notre position comme humaine et préférable ; c’est toujours refuser de voir en quoi la situation de l’autre est liée à la nôtre.

Alexandre Penasse

Notes et références
  1. Au total, la directrice touchera 551 700 dollars (380 989 euros) par an, une somme nette de taxes sur le revenu. Le Figaro.fr, 05/07/2011. Voir également http://m.lalibre.be ou sur le site du FMI http://www.imf.org
  2. Voir « Je m’en fiche, moi je veux mon projet », Kairos septembre-octobre 2012.

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