Quelle régulation pour l’audiovisuel en Communauté française?

Il n’y a plus de service public audiovisuel en Communauté française de Belgique. Reste une « entreprise publique autonome ». L’autonomie dont il est ici question est celle dont jouit l’entreprise à l’intérieur d’un cadre réglementaire spécifique, déterminé par la loi et par un contrat de gestion. Le contrat de gestion, plus précis que la loi, établit notamment les missions de service public que l’entreprise doit réaliser en contrepartie d’un financement public, une dotation.

Jusqu’ici, tout va relativement bien puisque la formule de l’entreprise publique autonome (EPA) pourrait permettre un peu plus de souplesse que le service public, parfois bureaucratisé de façon kafkaïenne. Toutefois, pour que cela fonctionne, la régulation et le contrôle sont indispensables : il faut pouvoir s’assurer que les missions de service public soient correctement remplies et si nécessaire, corriger le tir. Or les dispositifs existants sont partiellement défaillants, pour des motifs variés qui se rejoignent dans l’importance excessive des partis dans la vie politique belge. Donnons trois exemples symptomatiques.

Une composition des organes du CSA déséquilibrée

Au sein du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) chargé de la régulation de l’audiovisuel en Communauté française, le Collège d’autorisation et de contrôle(1) a notamment pour mission de contrôler le respect des règles et de traiter les plaintes (celles relatives à la publicité commerciale sont les plus nombreuses). Au sein de ce Collège, siège notamment Mme Sépul pour le Conseil de la publicité, le principal lobby publicitaire belge. Cette bizarrerie pourrait éventuellement se comprendre vu le rôle de l’industrie publicitaire dans l’audiovisuel et la mission corégulatrice du CSA. Mais l’on cherche en vain dans ce même collège des associations qui défendent l’audiovisuel sans pub. Impossible de parler de composition équilibrée au sein du CSA.

En réalité, le Parlement et le Gouvernement de la Communauté française, qui nomment chacun la moitié des membres du Collège, semblent ne pas avoir de réflexion sur sa composition autre que politicienne. Chaque parti propose un représentant d’un intérêt particulier et le soumet aux autres partis. Les rapports de force font le reste: untel amène celui-ci, l’autre celui-là, on ne discute pas. Il s’agit de placer les copains et ménager les ententes, pas de chercher l’équilibre démocratique dans un organe dont la mission de régulation est pourtant essentielle.

Cette même logique a des résultats encore plus graves: ainsi siège au sein du Conseil M. Rea Fuente, qui est par ailleurs secrétaire de cabinet de M. Demeyer, Bourgmestre (PS) de la ville de Liège. Il a été nommé par la ministre Laanan (PS). Or, la ville de Liège est actionnaire de VOO. VOO est « l’image n°1 de TECTEO»(2), une intercommunale dont l’une des activités consiste à fournir l’accès à la télévision. La loi prévoit que ces fournisseurs d’accès sont contrôlés… par le CSA. Il y a donc au cœur même du CSA un représentant d’un actionnaire crucial d’un fournisseur d’accès TV lequel doit être contrôlé… par le CSA !

On appellerait cela un conflit d’intérêt que l’on ne manquerait pas de se faire gourmander par les chantres de la rénovation du PS. Remarquez, il n’y a pas que le PS: ni les deux autres partis de la majorité, ni l’opposition, ni la presse n’ont moufté. Dormez tranquilles et regardez bien la télé.

La ministre de l’audiovisuel déforce le CS

À votre avis, quelle est la première chaîne de télévision de la Communauté française? Eh bien non, ce n’est pas RTL-TVi, qui réalise les plus gros chiffres d’audimat et se présente comme la principale chaîne belge francophone. Parce que RTL-TVi, dont les locaux sont situés à Bruxelles, s’est expatriée juridiquement au Luxembourg, où les règles publicitaires sont moins contraignantes. La Ministre coupable, pour ne pas dire responsable, Mme Laanan a signé un protocole de « coopération » avec le Luxembourg, pour faire comme si elle allait pouvoir tout de même faire quelque chose(3), contre l’avis du CSA — dont le président valeureux est lui aussi étiqueté PS — qui se battait pour ne pas laisser toute latitude à la publicité venue du pays des banques. Depuis, les questions parlementaires se suivent et indiquent bien entendu que le gouvernement n’a aucun contrôle sur la chaîne. Plus personne en Belgique n’a donc plus rien à dire à la chaîne de télévision la plus regardée de la Communauté française…

Du même coup, la crédibilité du CSA est ébranlée par cette décision, puisqu’il doit rappeler à l’ordre des télévisions qui font moins d’audience que RTL, laquelle leur inflige une concurrence dès lors déloyale.

Mais pourquoi diable la Ministre a‑t-elle accepté sans broncher, et même facilité cette situation proprement hallucinante? Réponse: parce que le PS a besoin de se montrer à RTL-TVi. à nouveau, soulignons que les autres partis politiques n’ont pas levé le petit doigt pour s’opposer à ce scandale démocratique. En dehors de quelques gesticulations parfaitement inoffensives, rien.

Mais que fait le parlement ? Il se fait passionnément lober par le gouvernement

  Le contrat de gestion est un outil de plus en plus utilisé (celui de la SNCB est en cours de renégociations(4)). C’est un texte très concret, qui est négocié entre le gouvernement et la direction de l’entreprise publique autonome. Il est donc négocié entre un très petit nombre de personnes, avec trop peu d’implications du Parlement. Un contact du CSA nous indique le paradoxe suivant: le Parlement intervient dans l’écriture du décret (la loi) qui est assez général sur certains points, mais il n’a pas grand chose à dire sur des textes comme le contrat de gestion qui sont plus précis. Il peut se saisir de la chose avec des auditions puis remettre des avis, mais on a vu lors de la précédente renégociation du contrat de gestion de la RTBF qu’il avait tout fait pour ne pas y parvenir(5)

En découle un enjeu crucial pour les entreprises publiques autonomes: que les parlements puissent participer activement et en profondeur à la rédaction de ces contrats, sans devoir obéir au gouvernement. Dans nos démocraties de moins en moins représentatives, remettre le Parlement au centre, empêcher qu’il se fasse toujours plus lober par le gouvernement voire par des instances supranationales (pensons à l’absurdissime « règle d’or » budgétaire imposée par l’Europe) est crucial.

Qui pourrait changer la donne, rendre du pouvoir au Parlement?

Les parlementaires eux-mêmes ont toute latitude de le faire. Mais il se trouve qu’ils sont «bloqués »(6)… par leurs partis politiques, dont les directions en quête de chiffres demandent la discipline de leurs troupes. Voilà un verrou qui explique pour une bonne part que tout ce petit monde obéit à la logique médiatique et économiste. Vite, de l’air: ne vous laissez pas mourir, présentez vos listes aux élections!

J‑B Godinot

 

Notes et références
  1. http://www.csa.be/organes/cac
  2. http://www.tecteo.be/tecteo-secteurs-voo.html
  3. Ce document-monument et sa défense ministé- rielle sont en ligne : http://www.fadilalaanan.net/downloads/pdf/AccordGDLux_Dossier_2009.06.04…
  4. Voir http://www.pourunrailperformant.be/
  5. Le Parlement s’était divisé notamment sur les questions relatives à la publicité commerciale à la RTBF. Ecolo était alors dans l’opposition et faisait mine de s’opposer à d’avantage de pub. Le Parlement n’était pas parvenu à remettre un avis unique et la ministre avait reçu une série de notes. Une fois passées les élections régionales de 2009 et Ecolo entré au gouvernement, tout le monde a voté pour la pub, sauf le MR, encore dans l’opposition.
  6. Tout est relatif : une proportion très conséquente des parlementaires aiment bien être bloqués si l’on en juge par leur attitude suiveuse et attentiste…

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