« PROSPÉRITÉ SOUS TERRE »

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«La crise existe de tout temps. Et elle ira en s’aggravant, chaque fois que les masses populaires seront de plus en plus conscientes de leurs droits face aux exploiteurs. Il y a crise aujourd’hui, parce que les masses refusent que les richesses soient concentrées entre les mains de quelques individus. Il y a crise parce que quelques individus déposent dans des banques à l’étranger des sommes colossales qui suffiraient à développer l’Afrique» déclare Thomas Sankara, président du Burkina-Faso, au sommet de l’Organisation de l’Union Africaine le 29 juillet 1987. Il sera assassiné deux mois et demi plus tard. Ce discours ouvre le film «Prospérité sous terre» réalisé par Ronnie Ramirez (www.zintv.org)(1), qui offre une vue saisissante de l’actuelle industrialisation minière au Burkina, un secteur d’activité clé pour ce pays classé parmi les plus pauvres au monde. 

Le film est tourné à Essakane, dans la région sahélienne de Gorom-Gorom, au Nord du Burkina. 

DEUX CÔTÉS, UNE RENCONTRE 

D’un côté, les orpailleurs artisanaux, qui creusent la pierre à la pioche et avec de petites machines. Lorsqu’une veine de quartz signalant potentiellement qu’un filon d’or est localisé, des dizaines de petits forages sont réalisés pour extraire le métal précieux dont les revenus vont permettre à la communauté entière de vivre. Pour les orpailleurs, chaque trou est une petite entreprise. Tous ceux qui ont creusé, investi dans l’outillage, le terrain, qui ont rendu l’opération possible participent au succès de l’opération et touchent une part de la vente de l’or.

A Essakane, des villages sont apparus autour de zones aurifères découvertes par les orpailleurs dès 1985: venus des villes ou des champs, du Burkina ou des pays voisins, des travailleurs et leurs familles y ont créé des communautés. Traditionnellement cultivateurs-éleveurs, ils ont su rendre fertile la terre aride sous laquelle quelques rares sources d’eau sont accessibles. Des équilibres fins ont ainsi été créés entre des communautés et leur environnement où elles ont su trouver le nécessaire pour vivre et prospérer. 

L’autre côté déboule en novembre 2008 sous la forme de la multinationale canadienne IAMGOLD Corporation. IAMGOLD est l’un des leaders mondiaux de l’extraction d’or, active sur trois continents(2). L’approche des transnationales minières est on ne peut plus simple: s’approprier des terres où le minerai est extractible en quantité suffisante pour être profitable, tout prendre et partir. Le procédé est largement automatisé: à Essakane, des camions gros comme des immeubles tournent 24/24, guidés par GPS dans un trou béant agrandi à coup de dynamite et de rogneuse dont chaque dent est plus grosse qu’un homme. La terre est broyée, chauffée, séparée chimiquement dans une usine de la taille d’une petite ville d’où sortent des lingots évacués tous les lundis par avion – la mine a son propre aérodrome. 

Les employés sont logés dans un hôtel climatisé coupé du pays par une enceinte sécurisée, où la salade fraîche et le sirop d’érable arrivent par les airs. 

La rencontre entre ces deux parties est l’objet du film de Ronnie Ramirez qui en montre la nature avec d’autant plus de force que la manière est dépouillée. 

Un troisième acteur devrait être de la partie: l’Etat Burkinabé. Il l’a été et le reste, dans un rôle particulier, en adaptant son code minier dès 2003 pour faciliter les investissements étrangers dans l’extraction notamment aurifère du pays, et en obtenant 10% de la société IAMGOLD Essakane créée pour l’occasion. Le nouveau code minier est très favorable aux grosses entreprises étrangères qui trouvent là des sous-sols particulièrement riches et un gouvernement accommodant. En 2009, l’or est devenu le premier produit d’exportation du Burkina-Faso, pour représenter 10% du PIB et des recettes s’élevant à 67 millions d’euros(3). Le gouvernement, qui présente Essakane comme un modèle de réussite win-win-win, a décidé d’octroyer de nombreux permis miniers pour les années à venir. 

MAUVAIS ETAT

Florence Kroff, de FIAN (FoodFirst Information and Action Network) Belgique (www.fian.be), souligne qu’en matière de droits de l’homme, l’État est le premier détenteur des obligations. Il se doit de faire respecter les droits, de protéger les citoyens d’actions contraires à ces droits, et de garantir l’effectivité des droits. La section belge de FIAN, en collaboration avec FIAN Burkina-Faso, apporte un soutien actif aux habitants d’Essakane en suivant son mandat propre: appuyer les populations en lutte pour leurs droits, ne jamais s’y substituer, ne pas décider sans elles. Florence Kroff explique: «à Essakane, il y a un réel manquement de l’Etat et des pouvoirs locaux. Il n’y a aucun contrôle de la bonne application des contrats conclus avec IAMGOLD, pas de soutien ni d’appui aux populations locales qui en ont pourtant un besoin évident. Les habitants ignorent à peu près tout de leurs droits, ils pensent qu’ils n’ont droit à rien».

En novembre 2009, 13 communautés, soit 2.562 ménages, 11.563 personnes ont été déplacées pour céder la place à IAMGOLD et sept nouveaux villages ont été créés. 

En contrepartie, la transnationale canadienne devait construire des maisons, des écoles, des puits. Les maisons étaient insalubres, les écoles au nombre de 6, les puits dysfonctionnels. Suite à la mobilisation des habitants, appuyés par FIAN, IAMGOLD a accordé de reconstruire maisons et écoles. Si des pompes à eau manuelles ont été installées sur un site, un autre «nouveau» village n’a toujours pas de puits. L’eau est acheminée par un camion-citerne affrété par la mine. En expropriant les habitants de leurs villages, IAMGOLD les a également privés de terres arables: le désert est partout, la terre aride. Les nouveaux arpents alloués ne permettent pas aux paysans de produire suffisamment de nourriture pour tous. L’eau est parfois contaminée par les rejets polluants de la mine, notamment le mercure. Montrant une dénivellation qui jouxte la mine, un paysan explique dans le film que «si un animal mange l’herbe, il faut l’égorger et l’enterrer sur place, on ne peut pas le consommer. Et la terre de la dune tombe sur le champ». Alors que des enfants naissent avec des malformations, les habitants du village expliquent qu’avant l’arrivée des sociétés minières, ils vivaient sans produits chimiques. « Que va-t-on devenir, et nos enfants?» demandent-ils alors que IAMGOLD va étendre sa zone d’extraction à la fin de l’année 2013 pour passer de 32 tonnes d’or/an à 56t/an.

Une mine a une durée de vie limitée:passés certains seuils, elle n’est plus rentable et est fermée. Pour Essakane c’est en 2025. 

A ce moment-là, les agriculteurs n’auront plus de terre cultivable. Les rares travailleurs locaux, plus de travail. Il n’y aura plus de camion-citerne, et les ressources en eau seront sûrement polluées au mercure. Les orpailleurs n’auront plus d’or à trouver puisque IAMGOLD aura tout pris. 

Et pourtant, les orpailleurs artisanaux pourraient produire assez d’or pour rencontrer la demande mondiale. IAMGOLD est donc inutile. 

JBG

Notes et références
  1. «Prospérité sous terre», un film de Ronnie Ramirez, Prod. Zin TV, 2013, 30 min.
  2. Et qui ne compte pas en rester là: «Les plans de croissance d’ IAMGOLD sont stratégiquement concentrés sur certaines régions canadiennes et certains pays en Amérique du Sud et en Afrique». www.IAMGOLD.be
  3. Pour la seule mine d’Essakane, IAMGOLD annonce des réserves d’or exploitables de 3,9 millions d’onces. L’once d’or est cotée à 1387,81 dollars fin mai 2013. 3,9 millions x 1387,81 dollars = 5.412.459.000 dollars tout ronds. En 2011 selon le FMI, le PIB du Burkina-Faso était de 10 milliards de dollars.

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