« Le système est biologiquement faux »

Interview du Professeur Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen.

Lors de sa publication à l’automne 2012, l’étude de l’équipe du Professeur Gilles-Eric Séralini a fait l’effet d’une bombe(1). Elle était en préparation depuis l’été 2007, développée puis menée dans le plus grand secret pour éviter des pressions qui l’auraient rendue impossible. Les médias de masse ont dans un premier temps relayé largement les principaux résultats de cette étude ainsi que les images de rats de laboratoire affublés d’énormes tumeurs.

La réponse des agences sanitaires officielles, des scientifiques «progressistes» (qui n’arrêtent pas le progrès) de tout poil ne se fait pas attendre: l’étude de l’équipe Séralini a été désavouée par les experts des OGMs, qui attaquent en même temps l’intégrité du Professeur.

Depuis, les médias de masse se sont fait plutôt silencieux sur ce sujet, qui reste pourtant d’une importance cruciale: pendant que nous parlons, les OGMs se répandent sur la planète, contaminent des cultures auparavant exemptes d’OGMs, et se retrouvent donc toujours un peu plus près de nos assiettes quand ils n’y sont pas déjà entrés via les additifs et excipients (les dérivés de soja que l’on trouve dans les chocolats, biscuits et autres produits industriels par exemple) ou via l’alimentation des animaux que nous mangeons(2). Le Roundup, pesticide associé au maïs OGM Monsanto NK 603 et étudié comme ce maïs par l’équipe Séralini, est le plus utilisé au monde (à raison de 10.000 tonnes/an en France) et continue de polluer les sols et les nappes phréatiques partout sur le globe, et par conséquent les organismes terrestres.

Dans leur étude, les scientifiques ont soumis une population de 200 rats adultes à des régimes variés(3) pendant deux ans, soit la durée de vie moyenne de ces animaux (les mêmes que ceux utilisés par Monsanto). Les rats ont subit 11 séries d’analyses de sang et d’urine, l’histologie de 34 tissus. Au total, 108 paramètres auront été investigués, une première.

Les deux principaux effets observés par les scientifiques sont l’apparition de tumeurs, surtout chez les femelles, et des effets de toxicité forte sur le foie et les reins(4).

Gilles-Eric Séralini appelle à réformer les procédures d’évaluation des produits chimiques et des OGMs en appliquant trois principes:

- la transparence: les résultats des tests doivent être rendus public, comme les protocoles (la méthode),

- l’expertise contradictoire: s’il est relativement illusoire de trouver des chercheurs qui ne seraient soumis à aucune pression ou intérêt particulier, la meilleure manière de garantir une évaluation de qualité est de rendre l’expertise contradictoire, comme c’est le cas dans le fonctionnement juridique,

- l’étude de la toxicité chronique et des effets de synergie: l’impact sanitaire de certains produitschimiques peut s’exprimer longtemps après qu’ils aient été absorbés par l’organisme, parfois dans la génération suivante. Il est donc nécessaire de mener des évaluations sur le long terme. Il est en outre indispensable de prendre en compte les effets potentiellement aggravants de la combinaison de différentes pollutions (effet «cocktail» et synergies) qui peuvent se renforcer l’une l’autre, et ne pas se contenter d’analyser le principe actif d’un produit qui compte de nombreuses molécules différentes.

INTERVIEW:

Kairos: Professeur Séralini, suite à la publication de votre étude, vous avez été la cible d’un nombre très important d’attaques en tout genre. Le CRIIGEN a indiqué avoir déposé des plaintes en diffamation à la fin de l’année 2012 et que d’autres sont en préparation. A votre avis, la déferlante d’attaques arrive-t-elle à son terme?

Prof. Gilles-Eric Séralini: Non. Il est clair qu’il y a maintenant une nouvelle série, on est arrivé dans la phase des attaques ad hominem. Nous avons répondu à toutes les critiques scientifiques, et la principale revue de toxicologie alimentaire du monde a confirmé notre publication malgré des pressions incessantes extrêmement graves des lobbies des biotechnologies. Septante-cinq pour cent des critiques ont d’ailleurs été émises les premiers jours par des gens qui travaillent dans les biotechnologies végétales, ou qui ont des brevets, ou qui étaient impliqués dans les autorisations de ces OGMs. Donc après la première série de critiques, la confirmation de notre étude et la publication de nos réponses à l’ensemble des critiques, ils sont maintenant un peu démunis et ils ont lancé plusieurs attaques à mon égard, d’abord en me traitant de «militant», de «non-scientifique». Maintenant ils prétendent que je suis influencé par une secte. J’en ai strictement assez.

Il y a eu la plainte pour faux et usage de faux contre Marc Fellous(5) qui, lors d’un procès en diffamation que nous avons gagné, a produit un document signé qui était un faux.

Il y a beaucoup de plaintes en cours qui sont des plaintes pour diffamation caractérisée, et qui seront déposées contre les personnes qui emploient les mots de «fraude» ou de «données falsifiées» à notre égard, parce qu’on ne peut pas laisser passer ça en tant que scientifique. Ce n’est pas du tout comme je l’ai entendu pour «faire taire la presse», la presse fait ce qu’elle veut, elle est libre, mais elle ne peut pas aller aussi loin que le mensonge comme cela est fait aujourd’hui. Il sera temps d’en parler lorsque mon avocat aura introduit ces plaintes.

Voyez-vous, ils ne savent pas trop quoi dire. Mon étude fait apparaître des lacunes graves dans les processus d’évaluation, de contrôle et d’autorisation de ces produits, et le laxisme des experts en charge de ces processus.

Nous travaillons actuellement à l’obtention et à la transparence des données qui ont servi à autoriser ces produits, notamment le pesticide Roundup.

L’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire [ANSES– Agence sanitaire française] vient d’admettre qu’elle ne disposait pas des données adéquates ni pour le Roundup, ni pour le glyphosate [molécule active du Roundup]. L’EFSA [l’agence sanitaire européenne] non plus. Donc, en fait, on est en train de caractériser des fautes extrêmement graves.

K.: Ils reconnaissent ne pas avoir les analyses toxicologiques de ces produits? Pas du tout?

Prof. G.-E. Séralini: C’est-à-dire qu’ils n’avaient pas d’analyse de sang de rats qui auraient reçu du round-up à faible dilution, c’est ce que l’ANSES vient d’écrire. Notre étude est pionnière là-dessus.

Il pourrait en aller de la même manière pour d’autres pesticides.

L’ANSES avait les données d’une étude sur le glyphosate mais ladite étude semble cachée dans un bureau en Allemagne. Et pourtant il y a déjà une différence majeure entre le glyphosate et le round-up(6).

C’est pour cela que les agences sanitaires disent toutes la même chose, qu’elles se confirment les unes les autres.

D’autre part, une enquête du journal «Lyon capitale»(7) a montré qu’il y avait eu un accord préalable entre les agences pour dire la même chose d’une part et me dénigrer d’autre part.

On est là dans une affaire mondiale d’impact lourd : vous savez que toutes les agences sanitaires du monde ont le même test de Monsanto utilisé pour autoriser le Roundup. Or ces agences ne commanditent jamais rien par elles-mêmes, c’est Monsanto qui donne la base, et les agences approuvent. Elles n’approuvent pas toutes mais elles se répètent, se photocopient, elles s’entendent pour permettre la rentabilité de ce produit. En tout cas elles n’osent plus se contredire. Mon étude est donc un coup de pied dans la fourmilière.

K.: La lecture de votre livre «Tous cobayes!» indique que l’amélioration des connaissances scientifiques sur les OGMs et pesticides associés s’apparente à un combat. Il semblerait que pour que la science progresse sur ces sujets, une mobilisation citoyenne soit nécessaire pour éviter l’instrumentalisation de la science. Qu’en pensez-vous ?

Prof. G.-E. Séralini: La science est instrumentalisée, évidemment. Les autorisations légales le sont aussi, la réglementation également. La science vous savez, elle a sa valeur propre, et évolue par soubresauts: une nouvelle découverte est contredite un temps par les autres chercheurs, c’est de bonne guerre, qui en répétant l’expérience vérifient si l’hypothèse est vraie ou fausse. C’est ainsi que sont réalisées les découvertes scientifiques. Ca c’est une chose.

Quand il y a des implications commerciales, c’est tout autre chose. Il y a des lobbies diffamant, des pressions pour autoriser des produits, des compromissions. On n’est plus là dans le domaine de la science, mais ce sont pourtant des scientifiques qui servent de têtes de pont dans cette histoire, car ce sont des scientifiques que l’on fait siéger dans les agences réglementaires, dans les comités d’autorisation.

Selon moi, le plus grave, comme je l’ai souligné dans mon livre, c’est l’accointance, qui n’est pas toujours une compromission. C’est l’accointance des experts avec une réglementation laxiste, qu’ils servent.

C’est vrai que si la société ne se mêle pas de cela, la situation devient très grave parce que chaque famille est atteinte par des maladies chroniques qui ne peuvent qu’être liées, au moins en partie, à l’influence sur la santé de l’industrialisation laxiste de produits mal testés.

Si la société ne demande pas une contre-expertise, une transparence qui est due en vertu de la loi sur les tests auxquels doivent être soumis les produits pour être autorisés, et des tests à long-terme de tous les produits mis sur le marché, eh bien on laissera une partie des autorisations industrielles nous écraser.

Comme avec les résidus nucléaires, la pollution par les produits chimiques nécessaires à l’exploitation des gaz de schistes, etc. parce que toutes ces autorisations reposent en fait sur des évaluations volontairement laxistes, pour rentabiliser ces techniques. Or si on les évaluait ne serait-ce que de manière durable, c’est-à-dire si on évaluait par exemple le pesticide entier au lieu de n’avoir qu’un choix de molécules comme cela est fait aujourd’hui, eh bien on changerait de monde industriel. On n’aurait plus de pesticides à outrance dans l’agriculture, et évidemment, ce ne seraient pas les mêmes qui profiteraient du système. On aurait une agriculture plus locale, plus durable, plus diversifiée, et on nourrirait davantage les enfants des pays qui ont faim que les cochons des pays riches.

Le système est construit par des réseaux financiers qui dominent plus de la moitié du PIB mondial. Mon rôle, en tant que chercheur et enseignant est de montrer aux gens comment ce système est construit. Ensuite, le monde appartient à ceux qui y participent, et donc sans la société, rien n’est possible.

K.: Dans votre livre, vous éreintez plusieurs fois la logique productiviste et celle de la croissance économique.

Prof. G.-E. Séralini: Evidemment qu’elle est artificielle et mensongère. Elle a été inventée au 18ème siècle et est complètement arriérée. Les calculs mêmes du PIB et du PNB sont des calculs qui font croire que l’on est dans un monde infini, où les ressources sont externalisables: l’eau disponible pour devenir potable, les terres arables, l’air non pollué, etc. Dans ce calcul on externalise également la quantité d’ordures chimiques que l’on va déverser dans l’atmosphère, dans la terre et dans l’eau. On externalise aussi le coût du pétrole par exemple, comme on le constate en achetant moins cher des fraises d’Argentine que des fraises biologiques et locales. On va taxer par contre le coût du travail, ce qui rend l’agriculture de qualité à taille humaine non rentable, alors qu’une pomme contenant les traces de 50 pesticides l’est.

On est donc dans un monde artificiel qui a grossi de manière anarchique, comme une tumeur, en utilisant les ressources de la Terre comme si elles étaient infinies, et ce calcul est biologiquement faux. Ce système qui considère la richesse comme la croissance du PIB, sans tenir compte des externalités qui sont des facteurs limitant de la vie, ce système est biologiquement faux.

Le maintenir par la pression de lobbies, au profit de quelques-uns et au détriment de l’ensemble de la planète et de ses habitants animaux et humains, et même des végétaux, est un contresens. Nous avons donc un système qui va, comme le disent même les politiques qui affirment que «la maison brûle», qui créent le protocole de Kyoto pour le climat ou de Carthagène pour la protection de la biodiversité, et bien nous avons un système qui va vers une autodestruction qui est l’opposé du durable, et qui engendre de grandes souffrances.

Je le vois déjà, en donnant des conférences dans plus de trente pays du monde, partout j’ai demandé qui avait dans ses très proches une maladie chronique comme un cancer, une maladie hormonale, de la reproduction, une maladie immunitaire que la médecine n’explique pas par une recrudescence de virus ou de bactérie ou un problème génétique connu. Et tout le monde lève la main.

Il s’agit donc d’une transformation de la société, qui met évidemment grandement en cause la qualité de vie, et qui mettra bientôt en cause l’espérance de vie.

L’espèce humaine n’est pas extraterrestre par rapport à l’ensemble des espèces vivantes de la planète, et elle va elle-aussi subir l’érosion actuelle et observée de la biodiversité. A vrai dire elle le subit déjà, avec toutes ces maladies chroniques qui sont dans toutes nos familles.

Propos recueillis par J.-B.G., le 18 janvier 2013.

Notes et références
  1. «Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize», G.-E. Séralini et al., Food and Chemical Toxicology, Vol. 50, Issue 11, Nov. 2012, pp. 4221–4231.
  2. «L’Europe dépend, pour l’élevage intensif, des importations de soja en provenance du continent américain, sur lequel la séparation nette des filières OGMs et sans OGM n’est pas encore acquise. Rappelons que 60% du soja mondial provient de plantes génétiquement modifiées et qu’un cinquième seulement du soja importé par la France est certifié sans OGM», G.-E. Séralini, Tous cobayes! OGM, pesticides, produits chimiques, Paris, Flammarion, 2012, p.227.
  3. «Chaque lot comprend 20 animaux, un groupe de 10 mâles et un groupe de 10 femelles: un lot de rats est nourri au maïs conventionnel; trois lots le sont au maïs transgénique (dosé à 11%, 22%, et 33%) cultivé sans épandage de Roundup; trois autres au maïs transgénique (dosé à 11%, 22%, 33%) cultivé avec épandage de Roundup; trois lots mangent du maïs conventionnel mais boivent de l’eau contaminée au Roundup (à trois concentrations différentes: 0,1 ppb, 400 ppm, 0,5%).», op. cit., pp. 85–86. Abréviations: «ppb» : «partie par milliards», soit un milliardième. 0,1 ppb est la dose infime et autorisée de contamination de l’eau du robinet. «ppm» = «partie par million», soit un millionième. 400 ppm est la dose que l’on trouve dans certains aliments américains transgéniques destinés aux animaux d’élevage, imprégnés des résidus de l’herbicide. 0,5% est la moitié d’une dilution minimale utilisée en agriculture pour désherber.
  4. Op. cit. p. 107.
  5. NDLR: généticien, ancien président de la Commission du Génie Biomoléculaire (France); laquelle est chargée de remettre des avis experts sur ces questions. G.-E. Séralini siégea également en tant qu’expert de 1998 à 2007 dans cette commission, et explique dans son ouvrage les nombreuses lacunes et dysfonctionnements qu’il y a observés. M. Fellous est également membre de l’Association française de biotechnologies végétales (AFBV), un lobby français pro-OGM.
  6. La réglementation ne prévoit pas l’étude toxicologique du pesticide commercialisé, mais seulement de sa molécule active (le glyphosate pour le Roundup). Cela pose un problème sérieux: «(…) les adjuvants, notamment un surfactant (le POEA ou polyoxyéthylèneamine) ayant une toxicité importante en lui-même, permettent à la substance active de pénétrer dans la plante ou l’insecte, d’être plus stable, de s’y fixer et éventuellement de s’y accumuler: ensemble, les deux composés atteignent le plus haut niveau de toxicité. Si le produit touche des organismes non ciblés (animaux ou humains), la même chose se produit. Souvent de manière encore plus grave, car des combinaisons de détergents adjuvants pénètrent mieux dans les membranes fluides des cellules de petits d’hommes que dans les carapaces dures des insectes ou sous la paroi vernissée de certaines feuilles», op. cit., pp.35–36.
  7. Lyon Capitale n°717, décembre 2012. http://www.lyoncapitale.fr/Journal/univers/Actualite/Le-mensuel/Etude-Se…

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