Journalisme et responsabilités gouvernementales

L’interpellation de la Première ministre par le rédacteur en chef de Kairos a entraîné des réactions variant entre l’indifférence, le mépris ou les critiques sur la forme(1). Sur le fond très peu de réactions. Aucune solidarité n’a été apportée de la part des autres médias.

La question posée n’était pas diffamatoire, déplacée ou agressive pour le gouvernement. Nous assistons actuellement à une crise sanitaire, sociale, économique et politique d’importance majeure. Or, le gouvernement a des devoirs et des obligations envers la population. Des violences policières sont perpétuées en toute impunité dans les rues par des policiers (aboutissant notamment au décès du jeune Adil(2)), les personnes âgées sont délaissées dans les maisons de repos ainsi que dans les hôpitaux lorsque la capacité d’accueil est atteinte. Pourtant, lorsque des questions qui remettent en cause la responsabilité du gouvernement sont posées, celui-ci ne juge pas utile d’y répondre sérieusement et préfère éviter toute remise en cause.

Cette semaine Kairos, par l’entremise de son rédacteur en chef, a tenté de participer à la conférence de presse du 24 avril. Il a été tout simplement écarté par le service de presse, usant de raisons non valables. L’avocate de Kairos a procédé à une mise en demeure à laquelle la chancellerie n’a pas répondu, comme la loi l’exige. Il était d’ailleurs étonnant de constater hier une présence policière absente les semaines précédentes… 

Vous avez dit quatrième pouvoir ?

Ne dit-on pas que la presse est le quatrième pouvoir ? De très nombreux citoyens et citoyennes en doutent et ces inquiétudes ne participent pas vraiment à renforcer des « démocraties » bien fragiles. Si les médias constituent réellement ce contre-pouvoir, comment expliquer qu’un non-événement – une question politique sur les choix du gouvernement en pleine crise sanitaire – soit vu par tant de personnes comme un exploit (3).

Que publiaient les « grands » médias, ou plus spécifiquement sur RTL TVI en cette soirée du vendredi 24 avril, suite à la fameuse conférence de presse? : https://www.rtl.be/info/belgique/societe/coronavirus-en-belgique-dernieres-infos–1213763.aspx : « Vous retrouverez dans cet article les décisions du Conseil national de sécurité, réuni ce vendredi à partir de 14h30, et les dernières informations liées à la pandémie ». Parmi d’autres titres, « Déconfinement : voici les mesures décidées lors du Conseil national de sécurité », « Déconfinement: voici les changements pour la pratique du sport », « Déconfinement: « Quand pourra-t-on rendre visite à notre famille ? » », « Réouverture des écoles à partir du 18 mai: voici les détails pratiques ». Une série d’informations disponibles d’abord sur le site du gouvernement fédéral, sont relayées sur le site d’une des grandes chaînes de télé avec une mise en forme plus attirante.

Finalement un premier article légèrement critique sur la manière d’organiser le déconfinement pointe le bout de son nez samedi matin, mettant en doute notamment le nombre de tests quotidiens4.

Du côté de la RTBF, à part un communiqué de la Ligue des familles sur l’inquiétude pour les parents de jeunes enfants face à ce plan de déconfinement, hier soir on pouvait lire des articles « pratiques » similaires à ceux de RTL.

Béatrice Delvaux était heureuse d’annoncer sur La Première ce samedi matin que le journal Le Soir sortait un numéro « Spécial guide du déconfinement »… Au même moment, un article relatant la satisfaction du patronat est publié sur le site du Soir. Notons que l’on peut consulter également sur le site internet du journal des articles narrant une journée de la première ministre.

Bien sûr, la pratique journalistique requière également du recul et il vaut mieux éviter les réactions à chaud afin de proposer des analyses critiques savamment réfléchies. Néanmoins après 6 semaines de crise, les différents enjeux de la situation et surtout l’amateurisme de ce gouvernement sont connus. Si critiques il y a elles sont la plupart du temps convenues ou ciblées sur des personnes ou des affaires ponctuelles mais rarement touchant à un système, à des politiques (anti)sociales et économiques que l’on peut aisément qualifier d’irresponsables. Il ne devrait pas être interdit de sortir du cadre… Pourtant, si l’on prend en compte la manière dont est traité un journaliste remettant en cause les choix majeurs pris par le gouvernement, c’est à l’évidence le cas. 

Il semble y avoir une confusion entre le travail des communicants des services du gouvernement et le travail de certains journalistes. Qui questionne les enjeux et les perspectives de la situation sanitaire, économique et politique présente si les journalistes ne le font pas, ou en tout cas à la marge ?

Quelles priorités?

Alexandre Penasse est décrit comme un complotiste pour avoir uniquement osé émettre des doutes sur l’impartialité de conseillers du gouvernement du fait de leur lien avec des entreprises commerciales. Tous les soirs à 20h00, les JT diffusent des images de la population qui applaudit aux fenêtres et balcons, pour remercier le courage du personnel hospitalier qui se démène sans moyens… Le confinement est vécu très différemment selon les classes sociales, les quartiers, le travail, les origines et les situations de vie. Alors que des gens meurent principalement du fait de l’incurie de l’État, la question essentielle, est-elle quand peut-on aller faire du sport, aller au magasin, ou que Walibi réouvrira ?

La question principale ne serait-elle pas plutôt, comment organiser une reprise de l’activité économique s’il n’est pas prévu antérieurement un refinancement complet du secteur de la santé? Marius Gilbert, épidémiologiste et membre du groupe d’experts auprès du gouvernement l’a exprimé lui-même à la rtbf, la pression économique a été priorisée au détriment de la santé. Les politiques ont été à l’encontre des avis des experts scientifiques. 

Les deux questions qui étaient prévues et qu’Alexandre Penasse n’a pas pu poser:

1) « Vous dites qu’il faut se serrer la ceinture et qu’il va falloir faire des efforts, or il existe des alternatives aux politiques d’austérité imposées aux populations. Il s’agit de suspendre le remboursement de la dette en utilisant l’argument d’état de nécessité5. Pourquoi ne pas envisager cette solution ? »

2) « Allez-vous mettre des moyens humains et techniques pour stopper l’évasion fiscale ? Car empêcher la fuite fiscale permettrait de ramener l’argent des paradis fiscaux et de réinvestir dans le secteur de la santé ? »6

Notes et références

  1. Voir https://pour.press/lelement-perturbateur
  2. https://www.lavenir.net/cnt/dmf20200424_01469555/apres-la-mort-d-adil-et-les-interventions-musclees-de-la-police-les-jeunes-des-marolles-sollicitent-une-rencontre-avec-philippe-close?fbclid=IwAR0_kQzA-sO9LFBWgCEf9KFzZeVDMSsfZ_QZ_g0yOsuP1tMCzpRArW_z238
  3. http://oliviermukuna.canalblog.com/archives/2020/04/24/38228884.html
  4. https://www.rtl.be/info/belgique/societe/deconfinement-ces-zones-de-flou-qui-persistent-dans-les-nombreuses-mesures-annoncees-1214069.aspx
  5. L’état de nécessité : un état peut renoncer à poursuivre le remboursement de la dette si la situation objective menace gravement la population et que la poursuite du paiement de la dette l’empêche de répondre aux besoins les plus urgents de la population.
  6. Il est possible de porter plainte contre les organisateurs de l’évasion fiscale, voir sur ce lien: https://pour.press/porter-plainte-pour-terrasser-lhydre-de-levasion-fiscale/

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