Euro, Orlando, etc.

L'hommage au statu quo

À l’identique, comme la fois d’avant et comme celle d’après, ils révéleront les morts, leur histoire, les détails de l’un qui venait de se marier, de l’autre qui commençait un fantastique boulot le lundi; de celui qui « aurait dû » passer la soirée dans la boîte mais avait loupé son train ; ils relayeront les cris des parents, frères, sœurs, endeuillés, leurs derniers appels, leur dernier contact.

Ils relayeront l’absurde, tout en y participant, jusqu’à la prochaine fois. Ils remettront sur la table les mêmes débats, sur le port d’arme, la violence aux États-Unis. Ils créeront le terrain de lutte où s’affrontent les politiciens, Trump et Clinton, et plus tard les autres, qui ont récupéré l’événement escomptant chacun la croissance de leurs voix; ils narreront comment l’un a choqué « l’opinion » par ses propos, la façon dont l’autre est resté sobre.

Ils évoqueront, et pendant le temps qu’ils l’évoquent, l’événement s’effacera doucement déjà, pour laisser la place au prochain « grand match »; l’arène médiatique ouvrira la scène au nouveau « scoop », au truc à dire, à faire, à voir, à manger, à boire, où tout ne se rapporte au fond qu’à une chose : faire du fric. Euro ou horreur, tout cela n’est que le fruit de la grande usine à pognon, causes et effets se mélangeant étrangement.

Mais surtout, que dire de la politisation de l’hommage ? N’est-elle pas la marque du respect envers ce monde et son système, l’acceptation tacite de ce qui est

Place au divertissement donc ! Amuser les gens, les unir derrière la grande « cause » footballistique, leur faire oublier… Hollande et sa bande en rêvent, leurs « ennemis » politiques aussi, chacun tirant la couverture pour soi. Les Belges aussi ont l’esprit ailleurs, les drapeaux flottant au vent dans les jardins, aux fenêtres ; les rétroviseurs étant habillés du tricolore, les toits des voitures des cornes du diable, distribuées par les journaux qui « font l’info », les supermarchés et les banques… Il en aura fallu du travail pour que le Panem et circenses (du pain et des jeux) de la Grèce antique devienne un spectacle mondial où les gladiateurs modernes sont les nouveaux dieux. Rassemblant sous cette superbe illusion « d’équipe nationale », les joueurs belges, français ou autres ne le sont pourtant que le moment d’un Euro ou d’un Mondial, étant toujours de simples produits que l’on échange sur le marché international, le gagnant étant celui qui donnera le plus. L’un joue en Allemagne, l’autre en Arabie saoudite… ils « rentrent », le temps de l’Euro.

À Bruxelles, entre deux matchs, on rendra hommage à Orlando. Avec chance, la place de la Bourse s’est vidée des fleurs et offrandes des attentats du 22 mars, laissant l’espace vacant pour les nouvelles gerbes. On rend donc hommage, c’est-à-dire qu’on exprime « une marque de respect envers quelque chose ». Mais envers quoi au fait ? Si dans le chef de certains citoyens, il y a une réelle empathie envers les victimes de ce monde, avec la conscience lucide de ce qui s’y déroule, que dire des autres ?

Mais surtout, que dire de la politisation de l’hommage ? N’est-elle pas la marque du respect envers ce monde et son système, l’acceptation tacite de ce qui est, le silence sur ce qui ne va pas ? Le football-industrie étant une des plus belles manifestations de ce spectacle. Car durant l’eucharistie du foot, il ne faut point troubler la fête, il ne faut pas oser gâcher le plaisir, laisser le sujet prendre son hostie télévisuelle. Donc ne pas questionner tout cela, cette frénésie, ces seuls rassemblements d’individualités que montrent les médias dominants. On aime ou on n’aime pas : « le foot c’est pas politique », et le gouvernement français le sait, lui qui dans ses conseils officiels quant aux bons comportements à adopter dans les stades et aux abords, énonçait : « ne pas tenir des propos politiques, idéologiques, injurieux, racistes ou xénophobes ». Même si le Ministère de l’Intérieur s’en est par après défendu, ce que n’ont pas relevé la plupart des commentateurs, mettant en avant une maladresse dans la communication gouvernementale ou une tentative véritable d’éviter des mutineries dans les arènes footballistiques (pure invention, voyant mal des supporters, à part se frapper sur la gueule entre équipes adverses, prendre par exemple les joueurs en otage pour protester contre la loi travail), c’est l’essence profonde de la dépolitisation du foot-spectacle moderne et la distraction qu’il représente – outre que de placer le footballeur en position de « star » qui illumine les gosses de banlieues et les divers aficionados du ballon rond, oubliant que celui à qui ils voudraient bien ressembler est un parasite qui, indirectement, participe de leur misère.

Le foot-spectacle, c’est l’hommage profond à nos sociétés libérales capitalistes consuméristes. Se rassembler lors de ses messes, c’est « marquer notre respect », rendre hommage(1) au dieu argent(2). Et, dans cet étrange rassemblement des faits que tout semble opposer, on reconnaît dans l’hommage aux victimes d’Orlando orchestré par les médias de masse, pour lesquelles on fait une minute de silence lors de l’Euro, quelque chose de semblable…

Allez, bon match.

Alexandre Penasse

 

Notes et références
  1. Quelques synonymes de « hommage », significatifs : « admiration, considération, déférence, égard, estime, ménagement, respect, révérence ».
  2. Faut-il le préciser, la réflexion n’est pas une attaque contre le spectateur du match, elle dépasse cette question pour penser le fait d’un point de vue sociologique et voir le rôle qu’il remplit dans la société.

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