Elles meurent en silence

Sale temps pour les écoles de village. Leurs portes se ferment, l’une après l’autre, leurs préaux se vident, les rires et les cris d’enfants se taisent, la vie s’éteint. Justifiant cette phrase souvent entendue : « Une école qui ferme, c’est un village qui meurt ».

Une agonie qui créera d’autant moins de remous qu’elle touchera un village situé dans une région reculée, loin des centres de décision politique. Et moins de vagues encore lorsque ce village est aux mains d’un collège élu à partir d’une liste unique présentée aux suffrages(1), ne rencontre aucune opposition lors des conseils communaux et par conséquent dans la gestion de sa commune.

Illustration : la commune de Chiny

Commune rurale de la province de Luxembourg, Chiny compte six implantations scolaires pour une douzaine de villages et quelque 5.200 habitant·e·s.

En septembre 2018, le bourgmestre, « le seigneur » comme l’appelle la presse locale(2), décide de la fermeture de l’école maternelle et primaire du village de Chiny. Motif officiel : un nombre insuffisant d’enfants. Raison officieuse et de notoriété publique : des tensions au sein de l’équipe pédagogique et une incapacité communale à les solutionner. Des parents et des habitant·e·s se mobilisent, des citoyens interpellent le conseil communal, sollicitent une coopération avec la commune pour le sauvetage de l’école : en vain. Un an plus tard, ce même conseil communal vote la vente du bâtiment scolaire en vue de le transformer en un projet immobilier d’envergure d’une dizaine de maisons et de plusieurs appartements(3).

« L’enseignement fondamental : une vocation communale par excellence »(4)

Pédagogues, sociologues, psychologues et autres «…ogues » s’accordent dans leur analyse : l’épanouissement et la sociabilité du jeune enfant reposent sur le lien et la proximité avec son environnement immédiat, son milieu de vie, son village (ou son quartier). C’est en effet dans ce milieu proche que le jeune enfant fait les premières expériences fondamentales qui détermineront profondément sa personnalité : les premières émotions, les sentiments, la découverte de la nature, des relations sociales, de l’organisation de la société, etc. Au-delà de 12 ans, il sera en mesure de profiter d’un milieu élargi. Dans l’enseignement secondaire, il rencontrera des élèves et des professeurs de diverses origines, mais il ne sera en mesure d’en apprécier tout l’intérêt que si ses bases « locales » sont bien assurées. Comme le souligne l’Union des Villes et des Communes : « proche de la population, la commune se doit d’assurer l’instruction et l’éducation des jeunes… Gérée par des responsables élus(5), elle peut seule répondre efficacement aux aspirations, aux besoins de la collectivité locale en matière d’éducation. ».

À Chiny, loin d’assumer ses responsabilités, le bourgmestre affiche son de ras-le-bol de devoir endosser cette mission. « Il en a marre », dit-il, des contraintes liées à la gestion de l’école communale et – surtout ? – d’être confronté à des parents qui s’y intéressent. Pour sortir de cette « lassitude », il tente de convaincre la Fédération Wallonie-Bruxelles de reprendre le réseau d’enseignement communal. Une tentative avortée, la « Fédé » décline.

Serait-ce une réponse à cette fin de non recevoir ? À la dernière rentrée scolaire de 2020, en pleine crise sanitaire et alors que tous les regards sont tournés vers le Covid-19, le collège fait passer en urgence le point de la fermeture de deux autres écoles de la commune.

Une démocratie locale peu démocratique

Sans broncher, les élus locaux avalisent la décision. Aux parents qui les interpellent ainsi qu’à la presse locale, ils opposent un silence éloquent. Il faut dire que l’absence de communication est le mode de gouvernance choisi par le pouvoir communal. Quant au personnel enseignant, ordre formel leur est donné par la commune, c’est-à-dire le PO, pouvoir organisateur, de prendre la parole. Ainsi que l’évoque la chaîne de télévision locale TVLux, dans sa séquence du 9 septembre 2020 « Le nombre de personnes qui n’osent pas parler par peur de représailles est impressionnant. Le sujet est pourtant sur toutes les lèvres. 3 fermetures d’école en 2 ans de temps, ça pose question et ça exige de légitimes réponses. »(6)

Des réponses, le groupe citoyen de Chiny, mobilisé pour la sauvegarde de son école, en attend toujours de la part des différents ministres auxquels il s’est adressé en janvier 2020, tant du côté de la Fédération Wallonie Bruxelles que de la Région wallonne(7).

L’architecture institutionnelle et politique de notre pays est complexe. Raison de plus, nous semble-t-il, pour que les différents niveaux de pouvoir, au lieu de leur opposer un silence vécu comme méprisant voire cynique, prêtent aux citoyens et aux citoyennes attention et considération. Nous connaissons trop le risque et le prix politique de la défiance qu’engendre le silence des élu·e·s. Quel (bon ?) usage fait-on du pouvoir que l’on possède ?

L’école de demain… ou d’aujourd’hui ?

L’on se prend à rêver d’un échelon communal qui assume cette importante mission d’organisateur de son enseignement primaire avec enthousiasme plutôt qu’avec réticence. D’un échelon communautaire, la Fédération Wallonie-Bruxelles qui, non contente de rappeler aux communes leurs responsabilité et obligation en la matière, prête attention et appui, notamment aux petites communes parfois confrontées à des situations conflictuelles ou de gestion de ressources humaines.

Et enfin, aujourd’hui que se multiplient les organes de concertation de toute nature, nombreux sont les comités de parents à souhaiter être davantage qu’un comité logistique de fancy-fair. Leur attente serait d’être partie prenante et d’être consultés, informés sur les grandes orientations de l’école, sans pour autant empiéter sur les prérogatives du PO.

Il s’agit tout simplement de prendre au sérieux les différents acteurs de l’école : enfants, parents et enseignant·e·s. Il s’agit également de ne pas transformer nos villages ruraux en cités dortoirs. Enfin, encore plus fondamentalement, il est inquiétant qu’une commune puisse encore, au XXIe siècle et en Belgique, être dirigée sans pluralisme, sans participation citoyenne, et sans garde-fous visibles aux échelons supérieurs (voire à l’intérieur des partis).

Groupe citoyen pour la sauvegarde de l’école de Chiny, Jacqueline Martin

Notes et références

  1. Voir https://www.kairospresse.be/article/balance-ton-bourgmestre-a-chiny-gouverner-ou-regner. Notons qu’à Chiny, l’unique liste présente aux deux dernières élections communales reprend des candidat·e·s issu·e·s des trois partis (PS – dont le bourgmestre s’est désaffilié – MR et CdH). Aucune expression propre à ces familles politiques ne se fait toutefois entendre, en ce compris lors de la fermeture des écoles.
  2. L’avenir.net, 06-09-2018.
  3. Le bourgmestre de cette commune est également président du CA de la société Ker Invest, société d’investissement dans le secteur immobilier, et administrateur-délégué de Goc Invest, société également active dans le secteur immobilier.
  4. Union des villes et communes, Le rôle des communes en matière d’enseignement (article en ligne, dernière mise à jour décembre 2019 https://www.uvcw.be/articles/3,12,2,0,2269.htm).
  5. Ce sont les auteur·e·s de cette carte qui soulignent.
  6. https://www.tvlux.be/video/info/chiny-3-ecoles-communales-fermees-en-2-ans_35447.html.
  7. Au ministre en charge des Pouvoirs locaux et de la Ville, à la ministre en charge de l’Environnement et de la Ruralité, au ministre en charge de la Tutelle sur WB-Enseignement et à la ministre en charge de l’Education

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