Témoignage

Bande de solitudes

Bonsoir bande de solitudes,

Je vous écris sous l’emprise de la morosité et peut-être un jour de joie, relisant ces lignes, je me trouverai ridicule. Néanmoins, le sentiment d’un besoin urgent de partager un câlin collectif et des épaules pour pleurer est bien réel en ce moment. Le manque de perspective et le glissement trop flagrant vers un univers où la distance physique, l’interaction avec plus d’écrans que de personnes et les muselières deviennent la norme me plonge dans une léthargie dépressive inquiétante. J’ai une voisine qui devient folle, rongée par l’angoisse de l’auto-enfermement. Un voisin tout juste pubère et obèse qui porte un pantalon dont le bas est tout déchiré et qui sent la crasse. Ça c’est ce que j’observe à mon échelle.. Qu’est-ce que ça donne à celle d’une ville?

Artiste, habituellement je décèle la beauté dans ce qui m’entoure… Je n’y arrive plus. Je vois de la misère, des yeux dépassent de masques qui vous regardent en chien de faïence. J’ai vu un bus scolaire dans lequel il y avait des petits enfants et certains étaient masqués et me regardaient par la fenêtre. J’avais envie de pleurer. La liberté coûte 250€. J’ai décidé d’y laisser mes économies. C’est la seule petite révolte que j’arrive à maintenir pour l’instant. 

Je me sens seule et pourtant je suis sûre qu’il y en a d’autres en train de cogiter chez eux et de se dire, « Un couvre-feu ! On a accepté un couvre-feu !? », comme si un virus était plus virulent après 22h… Puis on se rassure en se disant qu’ailleurs c’est pire… On nous interdit de nous réunir. Pourquoi ne sommes-nous pas plus organisés? Moi la première. J’ai des idées, je ne trouve pas la force de les mettre en application. Je manque d’acolytes. Je devrais lancer un « qui veut jouer avec moi ? », comme quand j’étais enfant.

J’ai lu une phrase dans un bouquin que j’ai réécrite pour fonctionner avec notre situation : « Nous refusons de vivre dans un monde où la garantie de ne pas mourir du covid s’échange contre la certitude de mourir d’ennui ».

Tous solidaires dans le chacun pour soi. Quand un virologue renommé propose un médicament déjà existant avec lequel il aurait eu des bons résultats, on le traite de charlatan, mais on nous promet qu’un vaccin tout neuf, quand il arrivera, lui, fera des miracles ! D’ici là, que les gens malades restent malades et enfermés chez eux jusqu’à ce que ça passe ou que ça devienne vraiment grave pour être mis sous respirateur, et puis, qu’ils se démerdent avec les séquelles !

Les vieux, infantilisés, ne décident pas pour eux-mêmes de ce à quoi ressembleront leur derniers jours, solitude imposée sous prétexte d’une plus longue espérance de vie. De survie. Ma mammy a toujours appréhendé la solitude plus que la mort. Mais le pire comble étant de mourir seule. Car on ne leur laisse pas le choix de leur mort non plus, ils mourront seuls ou entourés de scaphandres masqués. Je prends ma mammy dans les bras à sa demande et avec mon plus grand plaisir, je suis une terroriste sanitaire… Je n’irai pas la voir si je suis malade, tout comme avant je ne l’aurais pas fait avec une vilaine angine ou une grosse grippe, mais j’aurais déjà pu maintes fois auparavant lui filer des microbes à un moment de fragilité, et paf ! elle en serait morte ; avant je n’aurai pas été culpabilisée pour cela, aujourd’hui, si. Il est préférable de ne pas la côtoyer durant des mois plutôt que de profiter avec elle du temps qu’il nous reste, dont on ignore la durée.

Si en avril, le message des affiches en ville étaient : « Prenons nos distances pour que plus tard on puisse se reprendre dans les bras », aujourd’hui nous avons déjà basculé dans la pub du safe service loin les uns des autres et du bonheur de pouvoir cacher son bout de persil coincé entre les dents et de ne plus devoir hésiter à manger de l’ail grâce au masque, youpi ! (On n’avait pourtant jamais vanté ces mérites à propos de la burqa, mais passons).

On est même en train de nous convaincre qu’un peuple bien obéissant comme celui de Chine a réussi à se débarrasser du virus grâce à la bonne participation de ses citoyens, en omettant de dire qu’ils vivent sous un régime totalitaire et que cela fait un bout de temps qu’ils n’ont plus le droit de remettre quoi que ce soit en question. Si tu acceptes d’être fiché et contrôlé, tu vivras sans virus et tu pourras aller en boîte de nuit ; par contre, si tu n’écoutes pas quand on te donne l’ordre de rester chez toi, tu seras puni, sévèrement.

Quelles seront les conséquences de tout ça ? Du télétravail, du port du masque constant, de la disparition sans crier gare du cash, remplacé par du « sans contact », paiement qui est l’égal du nouveau rapport entre humains « sans contact », distance de 1 m 50, mais avec ton masque je ne comprends pas ce que tu dis, donc il faudrait que tu te rapproches, mais alors on ne respecte plus la distance sociale imposée, alors pour finir on ne se parle plus… Enfin si, derrière un écran. (Vous n’avez pas vu Wall‑e? Les humains qui ne savent plus marcher, qui ne font que bouffer, les yeux rivés sur leurs écrans ?).


Quelles seront les conséquences de la récitation en boucle à la radio et à la télévision du nombre de cas (enfin, testé positifs) allant crescendo ? Et de Netflix pour remplir le vide ? Est-ce que les séquelles comportementales, physiques, sociologiques et psychologiques engendrées par la gestion de cette crise sanitaire pèseront réellement moins lourd dans la balance que les dégâts du covid ? Est-ce que cette question est seulement posée dans le débat public, ou est-ce qu’on se réserve juste la surprise pour plus tard en prétendant que là on règle le plus important d’abord ? Et c’est quoi le plus important ?

Tinder est encore actif et les prostituées travaillent encore, est-ce que le besoin de contact physique deviendra lui aussi une consommation en un clic ? Et le besoin d’un simple câlin relayé à un échange sexuel payé ? Est-ce qu’on touchera des corps nus et masqués ? Est-ce que nos échanges physiques n’auront plus de visage ? Ou est-ce qu’on imposera un modèle de relation standard : un mari, une femme, mariés, partagent un lit conjugal et ayant maximum deux enfants pour avoir un nombre qui rentre bien dans une bulle et des rapports garantis « sans microbes extérieur, berk! ».

Les pays qui souffrent de grande pauvreté, de famine, ne se soucient guère du covid. Est-ce qu’il faudra qu’on en arrive là ? Lorsque les gens devront choisir entre gagner des sous pour bouffer et le risque d’attraper le covid, là ils braveront les interdits ? Et est-ce que c’est à ce moment-là qu’on instaurera un salaire minimum pour tout le monde ? Une fois qu’il sera trop tard comme pour les hôpitaux qu’on a laissé dépérir depuis des années ? Et à quoi devra-t-on renoncer ou que devra-t-on accepter en échange ? Un vaccin obligatoire ? Un listing permanent de toutes les personnes qu’on aura fréquentées ? Un traçage, du virus bien sûr, pas des gens, (même si le virus est porté par des gens), mais qui pose question dans une démocratie où une des dernières choses privées qu’il nous restait était la maladie ? Et si non obligatoire, nous interdira-t-on l’accès à certains lieux, comme c’est le cas maintenant si on n’a pas de masque ? Pas d’entrée dans les magasins, si vous n’êtes pas un petit bonhomme vert sur une application de smartphone?

Pourquoi ai-je l’impression que poser toutes ces questions est malvenu, voire interdit dans une démocratie où on défend le droit à la liberté d’expression ? Où est le débat ? La nuance ? Les avis divergents ? Pourquoi on a l’impression de marcher sur des œufs et qu’on va se prendre une rafale d’insultes quand on veut exposer qu’on a la sensation que notre liberté est mise aux oubliettes pendant un temps indéfini (ça fera quand même bientôt un an) et que cela nous inquiète de la perdre pour de bon ? Pourquoi a‑t-on peur dans une démocratie d’exprimer qu’on est plus inquiet des mesures qui nous sont imposées et de leurs répercussions sur le court et long terme, sur notre santé physique et morale et sur la division qu’elles créent au sein de la population, que du covid lui-même ? Pourquoi, si j’exprime tout cela, j’incarne une personne sans cœur qui veut tuer son prochain à coup de câlins et de bisous?

Julie

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