8 CATEGORIES AUTOUR DE LA CULTURE ET DES CLASSES BOURGEOISES ET POPULAIRES

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Ainsi nous pouvons différencier de manière schématique différentes attitudes au sein des classes socio-économiques. Elles se situent entre les deux extrêmes que sont les classes bourgeoises et populaires. 

Ces 8 différentes attitudes idéal-typiques dépendant de trois critères: 

— la classe sociale d’origine,
— le niveau de vie économique,
— les valeurs actuelles (bourgeoise ou populaire) liées au but de vie. 

Il y a la figure classique ou l’attitude du «bourgeois heureux» ou satisfait, car il est riche. A ses côtés réside la figure de « l’ancien riche ». C’est-àdire le « bourgeois malheureux », car il ne dispose plus d’un capital économique qui le satisfait. A l’inverse le « nouveau riche ostentatoire », dispose d’un niveau économique l’inscrivant dans la classe bourgeoise, mais il est issu de classe économiquement inférieure. Il adopte une attitude ostentatoire afin de montrer sa réussite par des signes extérieurs de réussite économique, à la différence, de l’attitude du « nouveau riche humble », qui est parvenu à accéder au niveau de vie économique du bourgeois, mais qui revendique toujours des valeurs et des pratiques de sa classe d’origine (populaire par exemple). Quant au désormais bien connu « bobo », le bourgeois bohême, il est économiquement bourgeois, mais culturellement populaire ou du moins se revendiquant comme tel. Il est souvent critiqué car il y a un écart entre son idéal (sobre, écologiste…) et ses pratiques dépensières donc anti-écologiques, car ses empreintes carbone et écologique sont élevées. 

Dans les classes subalternes et en particulier populaires, on relève la figure classique du « pauvre frustré» (malheureux), car il n’est pas satisfait de son niveau de vie économique. A la différence du « pauvre heureux » lui aussi issu d’une classe sociale populaire, mais qui apprécie son mode de vie, bien qu’il dispose de faibles revenus. A ses côtés figure le bohème: il est issu de la classe bourgeoise, mais dispose à présent d’un capital économique faible, à l’instar des classes populaires et du pauvre heureux. Par contre, il n’est pas frustré comme le bourgeois malheureux, ou le pauvre frustré, car il a adopté les valeurs de la simplicité volontaire. Tandis que le bourgeois bohème est plutôt heureux, il n’a pas une attitude cohérente, comme le bohème et le pauvre heureux, qui eux sont cohérents et plutôt heureux. 

Finalement, nous pouvons en conclure que la frustration dépend plus de l’écart entre ses valeurs et ses revenus que du niveau de revenus lui-même. Cependant, la misère, c’est-à-dire la non satisfaction des besoins vitaux, conduit non seulement à la frustration, mais progressivement à la malnutrition, puis à la maladie, jusqu’au décès prématuré. 

UNE REVOLUTION CULTURELLE : LA SOBRIETE HEUREUSE 

La « décolonisation de notre imaginaire » est le premier pas vers l’objection de croissance(1). C’est ce qu’explique Serge Latouche et cela suppose un véritable changement de paradigme. François Houtard, dans une allocution à l’assemblée générale des Nations Unies, le 30 octobre 2008, proposait d’une part de remplacer la valeur d’échange par la valeur d’usage, afin de permettre de créer des biens communs et non plus seulement des biens marchands. D’autre part, il suggérait de s’appuyer sur l’interculturalité, afin de parvenir à changer nos systèmes de valeurs respectifs(2)

En effet, l’obstacle le plus fondamental, pour dépasser le capitalisme consiste à parvenir à dépasser nos modèles de représentation du monde qui nous semblent naturels et éternels, alors qu’ils ne sont que le résultat d’une culture donnée à une époque donnée. Actuellement, il s’agit de l’idéologie hégémonique capitaliste néolibérale (Gramsci), qui est devenue une pensée unique et la fin de l’histoire pour certains, tel Fukuyama(3)

Cela suppose, pour les tenants de la modernité (le capitalisme néolibéral et la vision techno-industrielle), d’accéder à un nouveau paradigme, celui de la postmodernité. Cette dernière intégrant une partie de la « vision du monde » traditionnelle des « peuples premiers » vivant sur les continents asiatique, africain, américain, tels les Indiens Kogis vivant dans la jungle d’Amazonie en Colombie. Ces derniers ont su vivre sur la terre et la préserver pendant des millions d’années. Ils nomment avec bienveillance les hommes blancs « les petits frères » et estiment que si les Kogis disparaissent, l’humanité entière risque aussi d’être anéantie. Ils se considèrent en effet parmi les derniers gardiens d’une tradition, d’un mode de vie, d’une vision du monde permettant de maintenir l’harmonie entre l’humanité et la nature(4)

Les peuples premiers symbolisent la perpétuation des forces et des faiblesses de l’approche traditionnelle. Pour ce qui est de leurs faiblesses, il y a souvent la domination de l’homme sur la femme, l’autoritarisme du chef, le dogme de la tradition. Comme les peuples premiers, les nouvelles classes d’exclus, de précaires, de travailleurs pauvres dans le monde, vivent aussi avec de très faibles revenus. Cependant, les millions d’individus les plus pauvres, qui vivent avec moins d’1 à 2 dollars/jour, ne peuvent quant à eux ni être classés dans la catégorie moderne, ni traditionnelle ou postmoderne. Ils devraient être classés, pour certains, dans la catégorie traditionnelle, souvent dans la catégorie des victimes de la modernité capitaliste, parfois dans les deux à la fois et très rarement dans celle de la postmodernité. 

La décroissance autogestionnaire représente une des tendances du postmodernisme (qui prend de multiples formes) et qui est portée et initiée par certains groupes, associations et individus des mouvements altermondialistes, écologistes, décroissants, trotskistes, libertaires, anarchistes, féministes, et même des pratiquants des médecines alternatives, du développement personnel… 

L’approche, en termes de soins de santé primaire, illustre ce passage vers la postmodernité. Il s’inspire notamment du savoir-faire des médecins traditionnels, des « hommes médecines », des chamanes, qui s’appuient notamment sur l’usage des plantes pour soigner. ll permet pour la première fois de mettre en application la définition universelle de la santé, telle qu’elle est énoncée dans la constitution de l’OMS(5) : « La santé est un état de complet bien-être physique mental et social et ne consiste pas en une absence de maladie et d’infirmité». Même si l’OMS est souvent très loin de faire appliquer ce principe dans la réalité, tant elle sous la pression des lobbies de l’industrie pharmaceutique, cette approche a néanmoins le mérite de prendre en compte la dimension psychique et sociale et plus seulement biologique de la santé. «A “l’homme-machine “ dont la médecine académique ne connaissait que les symptômes, les souffrances et la mort, se substituait un “ homme-total “», selon l’expression de M. Mauss. Selon Claudine Brelet, ce changement de vision prend sa source en 1905 dans «le nouvel esprit scientifique » (G. Bachelard), au moment où la relativité einsteinienne vient déformer des concepts primordiaux que l’on croyait à jamais immobiles. Cette approche dynamique de la vie fut introduite par Malinowski avec l’anthropologie culturelle(6)

C’est ce qui permit à l’Occident d’adopter une vision unifiée du monde issu de la modernité héritée du XVIIIe, le siècle des Lumières. Le rapport Brundtland, en 1987, s’inscrit dans ce nouveau paradigme holiste, lorsqu’il affirme « qu’il n’existe pas de séparation entre l’organisme humain et son environnement »(7). De même Ignacy Sachs insiste sur la nécessité de « redéfinir la modernité », en établissant «une civilisation, centrée sur l’homme et favorable à la nature»(8)

Dans le cadre de l’approche matérialiste, la santé est envisagée sous l’angle économique, biologique du corps, des maladies physiques et psychiques, d’où l’usage d’une médecine chimique (allopathique) permettant notamment un enrichissement important de l’industrie pharmaceutique. La camisole chimique de l’industrie psychiatrique en est un exemple. Elle permet d’atténuer les angoisses et les possibles révoltes des exclus du système capitaliste. 

Chez les peuples premiers chamanistes, la maladie est par contre considérée comme le résultat d’un déséquilibre matériel, psychique et spirituel (esprits ou dieux). Pour le soigner, le guérisseur va utiliser les plantes et le chamanisme. Ce dernier vise à renouer une relation harmonieuse avec le monde des esprits, par exemple s’il pense qu’ils attaquent l’âme du malade. La médecine alternative et naturelle occidentale (phytothérapie, homéopathie, acupuncture…), si elle ne prend pas en compte la vision chamanique, reprend cette approche traditionnelle qui appréhende la maladie comme un déséquilibre biologique et psychique. Elle intègre donc en plus la dimension psychologique, comme moyen de guérison. 

La culture de la croissance infinie, de la vitesse extérieure s’oppose à la culture de la lenteur et de la simplicité intérieure. Les Occidentaux sont poussés culturellement vers la suractivité, ce qui crée une civilisation de la croissance et de la vitesse infinie. Une des raisons de cette éternelle course en avant et de l’hyperactivité des Occidentaux en particulier, s’explique à nouveau par un besoin de compenser la peur du manque, du vide et finalement la peur de la mort. Dans la culture moderne, en particulier celle du capitalisme occidental techno-industriel, une des valeurs dominantes repose sur la recherche du rendement, de la productivité, de la croissance économique sans limite. Tandis que dans la culture postmoderne, la priorité est donnée au temps intérieur, à la quête de la lenteur, comme opportunité de la «simplicité heureuse». Ceci afin de développer aussi les qualités intérieures de l’être humain. Un peu dans la même veine, Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx, avait déjà écrit en 1881 «Le droit à la paresse »(9)

Travaillez moins, pour gagner moins, consommez moins et surtout vivre mieux. Tel est un des paradigmes fondamentaux de la décroissance écosocialiste. Dans une perspective productiviste capitaliste ou socialiste étatique, l’injonction consiste à « travailler plus », plus vite, plus efficacement, recherche de la productivité maximum, pour «gagner plus». A l’inverse, les peuples premiers cherchent à travailler en cherchant à suivre le rythme des saisons, de la lumière du jour. Ils cessent généralement de produire, lorsque leurs besoins essentiels sont satisfaits. Dans le cadre de la décroissance autogestionnaire, les personnes entendent partager le travail, pour que tous y aient droit. Ils tentent de travailler moins pour accroître le temps pour soi et pour autrui. 

Ivan Illich explique dans son ouvrage le chômage créateur, qu’un changement important s’est produit dans les sociétés. C’est-à-dire que le capitalisme est parvenu à faire coïncider les besoins des individus avec l’offre de la marchandise. La société actuelle est conçue de telle sorte que la population est majoritairement contrainte à travailler pour pouvoir vivre dans la société de consommation. Or, il estime qu’il faut parfois savoir « dire non » pour bien vivre dans cette société. Les travailleurs-consommateurs «ne sont même pas capables d’imaginer qu’ils pourraient se soustraire à leur condition de passager, c’est-à-dire jouir de la liberté de l’homme moderne, dans un monde moderne, de se mouvoir par lui-même»(10)

La sobriété heureuse vise à retrouver une harmonie intérieure et extérieure, psychique et écologique. La culture capitaliste moderne pousse ainsi ses membres vers la quête du pouvoir, la prédation de l’homme sur ses semblables et sur la nature (dont il est coupé) tandis que certaines cultures traditionnelles, comme celle des Indiens Kogis, tendent vers la recherche de l’harmonie entre l’Etre humain, la Nature et la Terre considérée comme une « mère symbolique »(11). Ceci implique alors naturellement, pour eux, comme pour les tenants de l’écologie post-moderniste, le respect de la nature, afin de préserver sa propre santé et de partager des richesses économiques et naturelles, en particulier lorsqu’elles sont limitées et non renouvelables (pétrole, uranium, métaux…). 

Pour y parvenir, les tenants de la décroissance autogestionnaire préconisent une autolimitation qui soit fondée sur le principe de « la sobriété heureuse » telle que le formule Pierre Rabhi ou de la «simplicité volontaire»(12) s’inscrivant dans le registre de l’autonomie. On peut ainsi qualifier cette démarche d’autolimitation,de «simplicitéheureuse».Ellevise aussi à développer les qualités psychologiques de l’être humain (se détacher du besoin de posséder, de consommer, du pouvoir, de s’oublier dans l’activisme…). Qualités qui sont nécessaires d’acquérir, afin de pouvoir réellement mettre en œuvre cette autolimitation en vue d’un partage équitable des ressources entre tous les êtres vivants. 

Le pôle relativiste-prosocial de l’écologie défend la justice environnementale et l’écologie des pauvres. Il défend l’idée de dettes climatique, écologique et économique des pays les plus riches qui devront se solder par un remboursement de cellesci, notamment par une diminution de leur empreinte carbone et écologique, une redistribution des richesses, des transferts technologiques… Mais aussi par des actions de soutien économique aux initiatives anti-extractivistes. Paul Ariès souligne qu’un des «emblèmes de ce combat est le projet équatorien ITT/Yasuni c’est-à-dire le renoncement à exploiter 850 millions de barils (pétrole situé dans un parc naturel), en échange d’une contribution internationale couvrant 50 % de la manne financière qui aurait été possible. La gauche doit s’engager en faveur de ce projet, mais elle doit aussi affirmer que cette politique de non-extraction nous concerne aussi, puisque la meilleure façon d’être fidèle au projet Yasuni, est de réaliser mille autres projets Yasuni, de laisser dans le sous-sol les ressources rares/dangereuses, comme les gaz de schistes. Ce combat anti-extractiviste n’a de sens que si nous affirmons qu’il ne s’agit pas de remplacer le pétrole par une autre énergie, mais de changer de mode de vie. Ce combat est donc inséparable d’un nouveau modèle de société fondé sur le “Buen vivir”, par opposition au “bien être occidental” »(13)

Ce pôle de l’écologie prosociale et relativiste se compose notamment de l’écologie des peuples de couleurs de Washington et de Cochabamba (le pôle qui lui est opposé est celui de l’universaliste-néolibéral de l’écologie environnementaliste). Certains écologistes états-uniens, tel le révérend Benjamin Chavis, s’opposent par exemple au racisme environnemental, c’est-à-dire à « la discrimination raciale dans les politiques environnementales et dans la mise en application de la législation et des règlements, le ciblage délibéré des communautés composées de gens de couleurs pour les sites dédiés aux déchets toxiques (…) et une histoire caractérisée par l’exclusion des personnes de couleur de la direction du mouvement environnementaliste »(14). Depuis les années 1990, il semble cependant que Greenpeace-Etats-Unis fait partie des ONG ayant mieux pris en compte ces questions. 

Notes et références
  1. Latouche Serge, Le pari de la décroissance. 2006, Fayard, 302 p. 
  2. Houtard François, 30 octobre 2008, Panel sur la crise financière, Assemblée générale des Nations Unies, New York, http://www. un.org/ga/president/63/interactive/gfc/houtart_p.pdf.
  3. Fukuyama, F., La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, Flammarion, Paris, 1992.
  4. Julien Eric et Cruz Gentil, Kogis, le réveil d’une civilisation précolombienne, Albin Michel, 2004.
  5. OMS, Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, O.M.S., Genève, 1967, p.1.
  6. Brelet Claudine, Anthropologie de l’ONU, l’Harmattan, Paris, 1995, p.134.
  7. The world commission on environment and developpement, Notre futur à tous, Ed. Brundtland, G., Oxford University Press, Oxford, 1987.
  8. Sachs, Ignacy, L’écodéveloppement, Syros, Paris, 1993, p. 21.
  9. Lafargue Paul, Le droit à la paresse, Altiplano, 2007.
  10. Illich Ivan, le chômage créateur, PARIS : éd le Seuil, 1977, p.88.
  11. Julien Eric et Cruz Gentil, ibid.
  12. Burch Mark, La voie de la simplicité, Ecosciété, Montréal, 2003.
  13. Ariès Paul, Amoureux du Bien-vivre, Golias, 2013.
  14. Grossman Karl, « From Toxic Racism to Environmental Justice », E Magazine mai-juin 1992, p. 31.

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