La liberté est hors du cadre
Une ligne de fracture inévitable est en train de se creuser, qui distingue ceux capables de penser contre eux-mêmes (1) et les autres, qui réduisent leurs « réflexions » à un cadre duquel ils ne peuvent impérativement sortir. Ils ne réfléchissent pas, d’où la mise entre guillemets qui précède, mais croient, au sens religieux du terme, et leurs paroles ne sont que les versets correspondant à ce qu’ils définissent comme sacré. Difficile ici de décrire le parcours personnel qui mène à cette idiosyncrasie, c’est-à-dire à cette manière d’être propre à un individu, mais vu la correspondance entre le discours officiel et le discours individuel, la propagande, c’est-à-dire le travail des médias dits officiels — synonymes de « sérieux »
• en est certainement une des raisons principales. Le résultat en est une multitude de personnes assurées de penser librement et qui pensent toutes la même chose, refusant à l’autre de penser autrement, et répétant joyeusement la messe médiatique.
La propagande agit donc sur l’émission — c’est l’information brute qui est transmise — et sur l’émetteur — c’est l’information sur ceux qui informent, une sorte d’herméneutique journalistique, puisque ceux qui se pensent détenteurs de la vérité confondent leur discours avec la Science (avec le grand S de la croyance). Ils peuvent donc bannir les hérétiques et les déclarer impies, par exemple, concrètement : pro-Trump, antivax, pro-Poutine… ces catégorisations arbitrairement fondées et péremptoires étant plus largement associées à celles de complotiste, extrême droite, antisémite. Convoquer l’une amène d’ailleurs souvent l’autre, toutes étant pour le pouvoir des synonymes, en quelque sorte : concernant le procès « Brigitte Trogneux », les journalistes évoquent « la toute-puissance d’un complotisme alimenté par une extrême droite mondiale ». Au sujet du candidat écarté par un coup d’État européen de la présidence roumaine, on pouvait lire : « Cet antivax mystique aux accents trumpiens, critique de Bruxelles et admirateur par le passé de Vladimir Poutine, s’opposait à l’aide à l’Ukraine voisine ».
Dans leur délire — délire, car ils sont enfermés dans une réalité virtuelle qui refuse toute incursion du réel —, ils préfèrent avoir tort avec leur « ami » que raison avec leur « ennemi (2) ». On sait ainsi que les groupes politiques dits « démocratiques » au parlement européen, mais aussi dans les parlements nationaux, votent systématiquement contre une loi ou un texte si le groupe qualifié « d’extrême droite » vote favorablement. Ils préfèrent donc se mettre du côté de la « morale », qui est plutôt une bien-pensance garante du maintien de l’ordre établi, plutôt que de celui de la réalité. Mais je pense que l’analyse doit aller plus loin et envisager l’instrumentalisation de l’extrême droite, dès lors prise comme prétexte pour ne pas défendre une idée qu’on n’aurait de toute façon pas défendue, mais dépourvu d’arguments convaincants pour justifier ce choix… sauf celui de la proximité idéologique de l’extrême droite. Pourtant, comme le dit Simon Leys au sujet d’Orwell, cette concordance des choix ou des pratiques n’indiquent aucunement que ce seul point d’accord rassemblerait les deux dans une même catégorie : « Il est vrai que, sur quelques-uns des problèmes les plus brûlants de notre époque — le totalitarisme, le pacifisme — les vues d’Orwell sont effectivement très proches de celles de néoconservateurs. Et alors ? Cela ne saurait suffire pour faire de lui un membre de la nouvelle droite. Je puis désapprouver le cannibalisme ou approuver la vaccination contre le choléra — s’il se trouve que des fascistes ont là-dessus les mêmes vues que moi, cela fait-il de moi un fasciste (3) ? ».
L’incapacité de débattre couplée de la certitude d’être tolérant est le signe avant-coureur d’un totalitarisme en action. Car l’interdiction se mue en valeur morale de haute estime dès lors qu’elle se pare des vertus de la protection collective contre des propos extrémistes — donc « dangereux » —, extrémisme que celui qui nomme et décide aura lui-même choisi d’attribuer à l’autre. Le ministère de la Vérité et le tribunal de l’Inquisition politico-médiatique ne forment qu’une seule entité, qui distribue les récompenses et les sanctions. Pour cette entité totalitaire, un mauvais sujet ne peut rien dire ou faire de bon et toutes les mesures qui sont prises pour tenter de lui nuire doivent être prises et acceptées. Quiconque osera défier l’ordre et remettre cela en question sera aussitôt assimilé à l’ennemi.
Par cette condamnation, l’ordre politico-médiatique indique plusieurs choses :
• au récalcitrant qu’il ne peut penser autrement ;
• aux éventuels candidats, qu’ils doivent prendre exemple sur ce dernier pour se départir de toutes velléités de faire pareil ;
• à la masse, qu’elle écoute et se taise, et, s’il venait à l’un l’envie de parler sur un thème, qu’il répète la même chose que ce que les médias en ont dit.
Vous avez là la recette pour réussir en politique, mais aussi pour espérer faire une « carrière » artistique.
Pas de frasques, donc, si vous voulez faire du spectacle (de façon générale), vous seriez aussitôt bannis et assimilés à toutes les figures qui, à force de répétitions négatives, sont véritablement devenues des stimuli dont la seule énonciation déclenche une réaction mentale assortie d’images horribles. Ainsi, alors qu’au conseil européen du 23 octobre, le Premier ministre Bart De Wever n’a non pas refusé la proposition d’un prêt de 140 milliards à l’Ukraine monté à partir des avoirs de la Banque centrale russe bloqués chez Euroclear à Bruxelles, mais uniquement a demandé qu’elle soit assortie de garanties, la réaction a été simultanée. Alors qu’avec garantie ou pas, cette décision paraît totalement
rbitraire, illégitime et illégale, le seul fait de demander des garanties fait dire à l’éditorialiste en chef du Soir, Béatrice Delvaux, qui est à l’esprit critique ce que l’eau est au feu : « De Wever pire que Trump ? De Wever-Orbán même combat ? Les critiques, assassines, sont à la hauteur de l’urgence ukrainienne. » Ainsi, le doute nous caricature en ennemi, dont l’énonciation se suffit à elle-même. Dites du bien de Poutine dans une soirée, et la bombe vous éclate au visage.
Vous n’avez d’ailleurs rien à connaître de lui, il est le mal. On vous en protégera comme on vous a protégé par un « cordon médiatique sanitaire » du discours de Trump lors de son investiture. « Restez tranquilles les enfants 4, tout va bien, allumez la télé, suivez les instructions et répétez après moi… ».
Voilà où nous en sommes : menaces, amalgames, bannissement, dans un contexte de réification 5 de certaines personnalités publiques choisies, comme si elles n’étaient que des machines fonctionnant toujours dans un même sens, gommant toute la complexité humaine. Poutine, Trump, Orban… fonctionnent comme des jauges pour mesurer le « score démocratique » de son interlocuteur. Pendant ce temps, les autres, Ursula Von Der Leyen, Didier Reynders, Friedrich Merz, Mark Rutte… et tous nos politiciens belges impliqués dans des affaires de corruption, bénéficient du discours favorable des médias, les présentant comme des figures politiques légitimes, alors qu’ils concourent, inévitablement, à la destruction globale de nos sociétés, suivant l’agenda global.
C’est d’ailleurs pour cela que les médias parlent d’eux en bien et qu’ils sont encore là.
Alexandre Penasse
- Et sont donc capables de dire « non » aux diktats de l’ordre établi, à s’opposer et
à le dire. - La célèbre phrase attribuée à Jean Daniel : « Il vaut mieux avoir tort avec Sartre
que raison avec Aron ». - Simon Leys, Orwell ou l’horreur de la politique, Plon, 2006.

















