Qui veut la guerre ?

Dossier coordonné par Alexandre Penasse et Bernard Legros

« Une des choses que j’ai découvert est que presque chaque guerre qui a débuté au cours des 50 dernières années a été le résultat de mensonges médiatisés(1)»

Julian Assange, 2022.
cassou

Certes, une nouvelle fausse alerte « pandémique » n’est pas à écarter ; la démocratie représentative bat de l’aile partout (sauf en Suisse ?) ; la séparation des pouvoirs chère à Montesquieu n’est plus qu’un doux souvenir, comme son commerce ; les mondialistes de l’extrême centre et les souverainistes de l’extrême droite s’affrontent, les premiers pour conserver le pouvoir, les seconds pour s’en emparer, la gauche consternée et paniquée assistant à la scène en surenchérissant dans ce qui est devenu sa marque de fabrique 2.0 : le moralisme, les indignations « vertueuses » et la rage « antifasciste » ; le wokisme anglo-saxon continue à faire de l’entrisme en Europe avec un succès certain(2). Ces constats faits, il était temps de consacrer un dossier à ce qui angoisse nos contemporains par-dessus tout, l’ombre de la guerre, dont les médias et certains dirigeants nous abreuvent, allant parfois jusqu’à imaginer, tel Gabriel Attal, des bataillons russes défilant un jour sur les Champs-Élysées et devant le Berlaymont. Du pur délire ! Les Russes, quand bien même voudraient-ils aller respirer le bon air marin sur les rives de l’Atlantique, n’en ont pas les moyens démographiques ni, par conséquent, militaires : 143.679.916 habitants, à comparer aux 449.206.579 habitants de l’UE(3), soit un rapport de 1 à 3. Et puis, combien de soldats resterait-il dans l’immense Russie pour défendre les milliers de kilomètres de frontières ? Nous n’aurons donc pas besoin d’apprendre l’alphabet cyrillique pour devoir un jour remplir des formulaires administratifs ! Mais chez Poutine, il y a des armes nucléaires, une autre affaire sur laquelle s’est penché notre confrère français Jean-Luc Pasquinet, qui met en contradiction énergie atomique et décroissance, en convoquant deux de ses auteurs de prédilection, Cornélius Castoriadis et Günther Anders. Paul Willems rappelle les liens étroits entre la guerre et l’impérialisme. Refuser la première revient à combattre le second. Daniel Zink se lance dans une délicate tentative d’objectivation et de dépassement des unilatéralités dans le conflit en Ukraine. Nous accueillons pour la première fois dans nos colonnes le philosophe et psychanalyste luxembourgeois Thierry Simonelli, qui constate que le pacifisme, de la gauche à la droite, a cessé d’être une valeur centrale dans « nos démocraties ». Enfin, nous avons recueilli les propos de deux spécialistes des relations internationales, le Français Thierry Meyssan, fondateur du Réseau Voltaire, et le journaliste péruvien Vladimir Caller.

Si vis pacem, para bellum ? Le vieux dicton romain est-il toujours d’actualité ? Nous parlons bien de la guerre stricto sensu, c’est-à-dire militaire, considérant que nous sommes déjà en guerre économique et sociale depuis l’instauration du néolibéralisme, avec comme repères 1973 (Chili), 1979 (Royaume-Uni) et 1981 (États-Unis)(4). En l’état, faut-il être idéaliste ou pragmatique ? On ne sait trop de quel côté penchent les élites du continent quand elles appellent à la constitution d’une défense européenne, oublieuses de leurs engagements passés avec l’Organisation pour la sécurité et la coopération économique (OSCE) et la Charte de Paris, signée en 1990. L’Europe, c’était « plus jamais la guerre », paraît-il. Qu’importe, la Commission européenne a annoncé le projet « Rearm Europe », chiffré à 800 milliards € à charge des contribuables et du creusement de la dette. Immédiatement se pose une série de questions : comment faire passer cette pilule aux populations (que ce soit leurs fractions consuméristes ou leurs fractions appauvries) ? À qui acheter du matériel ? Ou bien doit-on uniquement le produire sur place ? Faut-il réinstaurer le service militaire ? Quelles relations conserver avec l’Otan ? Sous quel commandement unique placer cette défense ? La France et l’Allemagne s’y verraient bien, le micro(n)-Jupiter de la première se posant en chef de guerre européen pour redorer son blason, le chancelier malchanceux(5) de la seconde étant déterminé à faire de son pays la première puissance militaire de l’UE(6). Tous deux, avec la Pologne et le Royaume-Uni, se disent prêts à gonfler leurs muscles et leurs budgets respectifs de la défense à 5% de leur produit intérieur brut d’ici 2032, contrairement à la Belgique qui annonce timidement 2,5% pour 2034… Quel foutoir, mes amis ennemis !

Option 1 : la paix. À Kairos, nous avons toujours été favorables à une solution diplomatique pour régler le conflit en Ukraine, quand la classe politique s’enfonçait dans l’option 2 « clausewitzienne ». Les rares pacifistes déclarés ont été traités de « Munichois » — insulte qui faisait suite à « complotiste » — et d’ignorants de la stasis, cette immanence irréductible de la violence et de la guerre présente dans toutes les sociétés. En son temps, l’anthropologue Paul Jorion avait ressorti un petit joyaux philosophique, écrit en 1820 par le naturaliste Jean-Baptiste de Lamarck, qui n’a pas pris une ride : « L’homme, par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot par son insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce. En détruisant partout les grands végétaux qui protégeaient le sol, pour des objets qui satisfont son avidité du moment, il amène rapidement à la stérilité ce sol qu’il habite, donne lieu au tarissement des sources, en écarte les animaux qui y trouvaient leur subsistance ; et fait que de grandes parties du globe, autrefois très fertiles et très peuplées à tous égards, sont maintenant nues, stériles, inhabitables et désertes. En négligeant toujours les conseils de l’expérience pour s’abandonner à ses passions, il est perpétuellement en guerre avec ses semblables, les détruit de toutes parts et sous tous prétextes ; en sorte qu’on voit ses populations, autrefois grandes, s’appauvrir de plus en plus. On dirait qu’il est destiné à s’exterminer lui-même après avoir rendu le globe inhabitable(7). »

D’une part, éteindre les machines à abrutir que sont le téléviseur et la radio pour étudier l’histoire et retourner aux sources culturelles de l’Europe ; d’autre part, pratiquer l’éthique, « qui naît du désir de dire quelque chose de la signification ultime de la vie, du bien absolu, de ce qui a une valeur absolue(8) », voilà ce que nous pouvons déjà entreprendre pour tenter de faire dérailler le train fou du bellicisme.

Notes et références
  1. https://altermidi.org/news/julian-assange-a-propos-de-la-guerre-et-des-medias/
  2. Et un revers, malgré tout : l’ouvrage collectif Face à l’obscurantisme woke est finalement paru comme prévu aux Presses universitaires de France, malgré les intimidations et pressions diverses pour l’interdire. Félicitations à l’éditeur d’avoir tenu bon !
  3. Source : wikipédia, mai 2025.
  4. Cf. Pierre Dardot, Haud Gueguen, Christian Laval, Pierre Sauvêtre, Le choix de la
    guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme, Lux, 2021.
  5. Rappelons qu’il a fallu organiser un second tour d’élection pour le mettre en selle,
    ce qui n’était encore jamais arrivé dans l’histoire de l’Allemagne.
  6. Le Soir, 15 mai 2025.
  7. Cité in Paul Jorion, Le dernier qui s’en va éteint la lumière. Essai sur l’extinction de l’humanité, Fayard, 2016, pp. 22 & 23.
  8. Erling Kagge, Quelques grammes de silence, Flammarion, 2016, p. 91.
Mickomix La guerre est l’instrument privilégié de l’impérialisme. Sans la guerre, toutes les structures qui lui permettent d’extorquer leurs richesses aux autres nations ne servent...

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