Pas de changement pour Avatar II

Photo de Ashish R. Mishra sur Unsplash

Entretien avec Vincent Cheynet, rédacteur en chef de La décroissance.

Le film Avatar n’est-il pas juste un beau divertissement qu’il faut savoir prendre comme tel sans faire son scrogneugneu ?

Vincent Cheynet : Mes neveux me l’ont défendu ainsi. Ils m’ont expliqué que ce film était extrêmement bien fait. Après l’avoir vu au cinéma en 3 dimensions, je le confirme. Je l’ai vu pour le travail, car je déteste aller m’enfermer dans des salles obscures pour être à nouveau devant un écran. Le problème est bien aussi les moyens qui sont mis au service de ce spectacle. Au-delà de son succès — Avatar est un des rares films à ramener les foules dans les cinémas — le film est un évènement planétaire qui dépasse son caractère cinématographique. À l’instar de Marianne, les mass médias se sont enthousiasmés devant le caractère « écolo » du film : « Bref, ça fait du bien de voir un blockbuster sur l’écologie. Un sondage Ipsos révélait qu’en 2021, 79 % des jeunes se disaient intéressés par la thématique du réchauffement climatique. La génération Greta Thunberg qui voit en Avatar à l’instar de Reporterre une “dénonciation (de) la spoliation de terres indigènes et la destruction des écosystèmes par les humains” » est touchée en plein cœur(1). » Comme le montre bien cet extrait, rien n’est plus faux que de présenter ce film comme un divertissement innocent. J’en veux aussi pour preuve le nombre impressionnant d’ouvrages universitaires et de collapsologues qui nous le présentent comme le grand récit pour résoudre la crise écologique. Impossible de tous les citer ici. Prenons néanmoins quelques exemples avec Damien Deville et Pierre Spielewoy. Les deux universitaires français dissertent ainsi dans un très sérieux ouvrage publié en 2020 : « Le film Avatar a marqué son époque, il a également marqué notre adolescence. […] Confrontés à leur propre vulnérabilité, les Na’vi vont sublimer les relations qui les unissent à la terre… » (Tana, 2020). Même enthousiasme à l’autre bout de la planète avec leur confrère Glenn Albrecht. Le professeur australien s’enthousiasme pour le long métrage dans son Les émotions de la Terre (Les Liens qui Libèrent, 2020), « un livre d’une importance capitale » selon le pape de la collapsologie Pablo Servigne. Revenons en France avec Nicolas Hulot et Frédéric Lenoir. Dans un ouvrage commun, D’un monde à l’autre, Le temps des consciences, ces vedettes de la sagesse médiatique affirment: « Ce qu’évoque très bien le film de James Cameron, Avatar, qui montre que, contrairement à la Terre où l’emportent les valeurs masculines de domination, de prédation et de compétition, Pandora est la parabole d’un monde où les valeurs féminines, comme l’harmonie avec l’environnement, la collaboration et la protection des plus faibles, sont mises en valeur. » (Fayard, 2020). On se demande si nos deux philosophes ont bien vu le film. Mais nous connaissons depuis la suite avec le grand féministe Monsieur Hulot.

Plus sérieusement, comment caractériser le discours du nouveau film de James Cameron ?

Que ce soit Avatar I ou II, le mot qui le caractérise est contradiction. Davantage encore je dirais qu’il exprime une montée aux extrêmes. Prenons un exemple avec le site Reporterre de l’ex-journaliste écologiste du Monde Hervé Kempf, cité par Marianne. On y retrouve tous les grands traits de l’idéologie écologiste actuelle. Devant les rares critiques adressées au film, celui s’est empressé de le défendre : « Le deuxième opus d’Avatar fait pourtant la part belle à la protection des océans et aux membres de la tribu Metkayina, à l’épiderme turquoise, conclut leur plaidoyer. Ils vivent en harmonie avec les récifs coralliens, les mangroves luxuriantes, les crocodiles ailés, les méduses et les papillons géants. Leur équilibre est rompu avec l’arrivée d’humains, surarmés, qui n’ont aucun scrupule à faire de la mer un champ de bataille(2). ». Or quelle vision de l’organisation sociale promeut le film ? Chez les gentils, le système est parfaitement clanique. Des chefs, plus grands, plus forts, plus autoritaires, dirigent sans partage. Seule la femme du chef a le droit, un peu, à la parole. Mais elle doit rapidement s’incliner devant son mari. À plusieurs reprises le héros, lui aussi un chef de tribu, répète : « Le rôle du père est de protéger sa famille. » On s’étonne alors de lire le site Reporterre, d’habitude si prompt à chasser toute trace de discours patriarcal, abandonner ici tout esprit d’analyse critique ! On est pourtant loin de ses préconisations habituelles de démocratie directe, voire de système au consensus où l’on débat en agitant les mains jusqu’à arriver à l’accord de tous… Sans même parler de l’écoféminisme qui y aurait été trouvé par MM. Hulot et Lenoir. Nos deux écophilosophes confondent la défense des femmes et leur fantasme de régression fusionnelle avec la Terre-mère.

Avatar n’est pas écolo ?

C’est aussi une des contradictions majeures du film, qui est fondé sur la technologie la plus en pointe. Elle permet la reconstruction d’un univers intégralement artificiel. Or, que nous présente-t-il ? L’apologie du sauvage, du primitif. Mais ce sauvage reconstitué par la technique numérique est fantasmé, magnifié. Tout y est plus grand, plus beau, plus fort. À l’inverse des élucubrations de MM. Lenoir et Hulot, la part de la faiblesse de condition naturelle est justement évacuée par cette recomposition numérique. Ici on « jouit sans entrave » en chevauchant des oiseaux reptiliens ou des dauphins ailés. Les jouets de la société de consommation (motos, jet-skis, hélicoptères et tout le tintouin) paraissent alors bien fades à côté. Reste que le sauvage demeure à travers son organisation sociale, comme nous l’avons vu : c’est la loi de la jungle, le règne des plus beaux et des plus forts. Or cette loi-là ressemble furieusement à celle du capitalisme libéral et de sa société du spectacle. La sauvagerie est représentée à son apothéose quand la femme du héros voit son enfant tué. Elle se transforme alors en mère louve et se déchaîne dans une folie vengeresse. Elle commet alors une véritable boucherie à la Rambo contre les humains modernes. Ces derniers sont présentés comme des méchants par nature. On s’attend alors dans le cinéma à voir la salle se lever pour l’acclamer. Le spectateur est entraîné à communier dans la barbarie contre son espèce.

Y a‑t-il une évolution entre le premier Avatar et sa suite ?

Cette suite du premier Avatar est intitulée La Voie de l’eau. Tout un symbole. On nous assène dans un pseudo-prêche écologique, c’est attendu, que « la mer est notre mère ». Avatar I nous invitait à nous fondre dans le règne de l’indifférencié, le Grand Tout, en communiant avec la Terre-mère, la Pachamama, Gaïa, à travers un arbre magique auquel on se lie avec sa natte. Pas de bol pour les chauves comme moi, exclus de fait. Je le dis pour plaisanter, mais pas que ; il n’y a pas de place ici pour la faiblesse, pour les éclopés et les déglingués de la vie. Ce n’est qu’une salle de sport pleine de vainqueurs. Avec cette suite, on va plus loin encore. La Voie de l’eau est la promesse du retour au paradis intra-utérin perdu ! Ce qu’avaient pressenti MM. Lenoir et Hulot dans leurs élucubrations. Un ouvrage universitaire publié en 2020(3) nous livrait cash cette aspiration le plus souvent impensée : « Si notre culture nous dissocie de la nature, notre corps ne nous en a jamais séparés. Il nous revient de retrouver cette matrice vivante qui, à notre naissance, se présente comme le prolongement de la matrice maternelle dans laquelle nous avons vécu à l’état de fœtus. […] Il nous revient de retrouver cette matrice et faire éclater la bulle invisible que nous avons façonnée en grandissant, nous enfermant dans notre individualité. Alors, le monde peut nous rejoindre de lui-même, tel un liquide amniotique qui nous immerge. » Le chapitre était d’ailleurs intitulé « Pour une “écologie amniotique ». Nous voilà en plein dedans. Dans ce paradis numérique, on a aussi ici des « frères spirituels » et des « sœurs spirituelles » dans des mammifères marins, forcément bons et sages. Nous voilà en pleine théorie antispéciste, animiste, surtout en plein angélisme. Les vrais méchants sont les humains débarqués avec leurs machines, nécessairement destructrices pour la nature sauvage et primitive soi-disant défendue par le film. À nouveau, quel paradoxe, alors que tout ici est quasiment virtuel. Nous sommes aux antipodes d’Ivan Illich et d’autres précurseurs de la décroissance défendant une technique simple et maîtrisée. Nous sommes plus loin encore d’une vision véritablement écologiste et humaine de notre condition soulignant notre faiblesse dans la nature, la nécessité de s’en dissocier partiellement, et l’importance de la maîtrise des outils et des machines dont nous nous dotons pour y vivre. On se demande ce que vont pouvoir nous proposer de plus régressif encore les épisodes suivants. Cette vision panthéiste renvoie à la mode actuelle des sorcières, naturellement présentent dans le film. On se demande d’ailleurs pourquoi on ne retient actuellement que leur versant féminin, car il y avait des sorciers. Cette vision pseudo-féministe et écologiste contemporaine omet tout autant les barbaries tels les sacrifices humains qui leur étaient liés. Il a fallu tout le côté éclairé de la modernité, et même de la religion, pour y mettre un terme. Avant la sortie du deuxième épisode, j’observais ceci : « Nombre des gourous de la collapsosophie, nom de la sagesse née de la collapsologie, révèlent avoir été fasciné par le film Avatar. Ce film de James Cameron constitue pour eux une sorte de grand récit biblique. On comprend bien pourquoi. Cette pseudo-écologie est le parfait fruit du capitalisme libéral. Comme lui, la loi de la jungle est leur idéal. Les loups et les innocents la partagent(4) ». Bref, il faut prendre Avatar très au sérieux. Je nommais la religion qu’il diffuse sous la forme d’une trinité, « Gaïa, Greta, Tesla(5) ». Cette néo-religiosité techno-New-Age constitue un grand discours religieux de notre époque. Et pour nos ados, sa planète Pandora constitue un paradis perdu atteignable grâce au numérique.



Notes et références
  1. « Écolos, geeks, familles : comment James Cameron a mis tous les Français d’accord avec « Avatar 2 » », Marianne, 10 janvier 2022.
  2. « Avatar 2 » est-il « horrible et raciste », comme l’en accusent des Amérindiens ?, Reporterre, 23 décembre 2022.
  3. Jacques Tassin, Pour une écologie du sensible, Odile Jacob.
  4. « Un monde désincarné et numérisé est un monde de mort-vivants », Limite, 18 mai 2022.
  5. « Sauvons Greta! », La Décroissance, numéro 168 d’avril 2020

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