PAR LA BANDE, EN RETRO

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On l’a souvent dit, tout l’art de la pub consiste à manipuler ses victimes. Beaucoup croient pouvoir résister à ses sirènes alors que ses concepteurs vous roulent dans la farine sans que vous vous en doutiez. Deux exemples.

Un clip publicitaire vante un détergent vert qui fera superbement mousser votre vaisselle… Vous n’allez pas pour cela acheter cette marque ? D’accord, mais regardez la cuisine dans laquelle une accorte ménagère s’affaire avec grâce. 30 m², de splendides meubles au design scandinave dernier cri, la fenêtre donne sur un magnifique jardin d’au moins 2 hectares. On vous vend peut-être le savon X mais surtout un mode de vie, une normalité consumériste qui n’est pourtant pas celle de la majorité de nos contemporains. Dans votre petite cuisine de 9 m² donnant sur les murs gris de la ville, vous n’allez peut-être pas acheter le liquide X aux senteurs de citron vert mais vous allez rêver de l’écrin dans lequel vous l’avez vu et prendre le risque d’un crédit hypothécaire pour acquérir une petite maison dans une verte banlieue (à 40 km de votre lieu de travail : bonjour les déplacements énergivores). Vous avez mis le doigt dans l’engrenage…

Souvenir d’une matinée d’étude sur l’eau organisée par le Réseau des consommateurs responsables(1). Nous regardons à 20 une belle photo publicitaire pour l’eau minérale Y. Une très très belle femme, fort légèrement vêtue, fait sa toilette dans sa salle de bain. Son pèse-personne est dans la poubelle. Argument publicitaire : en buvant l’eau en bouteille Y, vous garderez une ligne super (de fait, le mannequin a un profil admirable). « Balance ta balance » est le joli slogan support du message. Première réaction de l’assistance : « Encore une pub qui utilise le corps de la femme pour inciter les mecs à acheter ». Petit débat, réflexion collective. En fait pas du tout. Cette superbe créature face à ses deux beaux grands éviers et deux verres avec deux brosses à dents est de toute évidence comblée : elle a un mec, elle vit dans le luxe (le look de la salle de bain ne laisse aucun doute). La cible de la pub est donc féminine : celle qui se dira « Moi aussi je vais boire l’eau Y ; je serai belle, aimée et aurai une vie confortable avec un gars, beau, gentil, intelligent et… riche ».

Á propos de l’eau : je me souviens de magazines écolos qui faisaient de la pub pour une eau minérale « extraordinaire » venue de Norvège. Ainsi donc, il y avait des pseudo-écolos assez naïfs pour acheter une eau « si pure » venue des glaciers nordiques… au prix du long transport d’un des éléments très lourd que l’on trouve à profusion chez nous (et en aussi bonne qualité). C’est une palme à mettre au chapeau des publicitaires : être parvenus à faire acheter de l’eau à 2€/litre alors que dans chaque logement il y a des robinets débitant une eau d’aussi bonne qualité (toutes les analyses de laboratoire le prouvent) à un prix 400 à 600 fois moindre. Mais le goût, la saveur incomparable de l’eau de source me direz-vous… Toujours à cette matinée du Réseau des consommateurs responsables : dégustation à l’aveugle d’une petite dizaine d’eaux, les marques X, Y, Z… et l’eau du robinet de 3 ou 4 villes(2). Une des participantes qui ne jurait que par sa marque favorite ne l’a pas reconnue et a donné la meilleure cote gustative à… l’eau du réseau de distribution d’Ottignies. La répartition des préférences pour une eau ou l’autre était purement aléatoire. La colonisation de nos imaginaires est généralisée et elle ne pouvait laisser en friche un terrain aussi essentiel que l’élément le plus vital au sens propre du mot -, l’eau pure.

Alain Adriaens

Notes et références
  1. www.asblrcr.be
  2. Même contenant, même température, même temps d’oxygénation…

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