Le biomimétisme au secours du monde ?

Illustré par :

Le caractère inextricable de la crise globale systémique nous force à cogiter, puis à agir, à la fois avec pertinence et dans l’urgence. Exercice ardu ! Après le développement durable, la prospérité sans croissance, le mouvement de la transition et la décroissance(1), toujours agissant d’une manière ou d’une autre, il faut désormais compter avec un nouveau venu. À l’heure où les techno-prophètes de la Silicon Valley ont l’intention de reconfigurer totalement la planète par les technologies convergentes, la découverte du biomimétisme est un ballon d’oxygène. Cette idée originale est née chez des écologues proches de ceux qui plaident depuis longtemps pour un recours aux énergies renouvelables. Mais qu’apporte-t-elle de plus, ou d’autre? La démarche consiste à observer les mécanismes du « grand labo » de la nature pour ensuite en tirer parti dans les activités productives (industrielles ou non), dans le but d’économiser les ressources et les énergies, ainsi que d’atteindre une plus grande efficacité et davantage de durabilité. Autrement dit, étudier et respecter les «Principes du Vivant» se déclinant à travers les bactéries, les protozoaires, les champignons, les plantes et les animaux. 

Avec l’aide de Michèle Decoust, Gauthier Chapelle, biologiste et ingénieur agronome né en 1968, propose le premier ouvrage de vulgarisation en français, Le vivant comme modèle. La voie du biomimétisme (éd. Albin Michel), préfacé par Nicolas Hulot et Jean-Marie Pelt (1933–2015), écrit dans un style… vivant! Il n’en est pas à son premier coup d’essai. À la Fondation Polaire Internationale, il s’était spécialisé dans le dossier climatique, avant de se tourner, depuis une quinzaine d’années, vers les solutions pratiques en fréquentant les cours de Janine Benyus, fondatrice du biomimétisme. Pour creuser cette question, il a ensuite cofondé le bureau d’études Greenloop avec, entre autres, notre collaborateur Raphaël Stevens(2), ainsi que l’association Biomimicry Europa, expliquant avoir cherché une approche plus radicale que celle du développement durable. « Biomimicry désigne ce sous-ensemble du biomimétisme destiné à nous offrir un arsenal d’outils technologiques et organisationnels, dont les principes ont été testés par l’évolution et qui pourront nous aider dans la transition nécessaire pour retrouver notre place dans la biosphère» (p. 28). 

Le livre se présente à la fois comme une autobiographie, un ouvrage de diffusion scientifique et un essai politico-philosophique. Il décrit les voyages de l’auteur, de la Bretagne à l’Antarctique, là où il perçut pour la première fois la globalité des dégâts infligés au milieu terrestre. Même si elles sont vulgarisées, les nombreuses informations scientifiques ne sont pas toujours aisées à assimiler. L’auteur biologiste fait le pont avec la sociologie, notamment lorsqu’il compare les avantages et les inconvénients des modes de relation écosystémique – symbiose, compétition, commensalisme, coexistence, parasitisme – en les transposant à la sphère économique. Tout naturellement, sa préférence va à la symbiose, étudiée aujourd’hui par une nouvelle discipline, la symbiologie. Celle-ci «démontre chaque année davantage que les innovations majeures de l’évolution du vivant résultent de symbioses» (p. 253). Voilà un enseignement de la science dont nous devrions tenir compte dans les organisations humaines, pétries à l’inverse de l’évangile de la compétition. 

Le biomimétisme représente-t-il une réelle rupture? Avec le développement durable et le dogme de la croissance, assurément, précise l’auteur. Et aussi plus globalement avec la société thermo-industrielle. Cependant, «le biomimétisme n’est pas une fin en soi, mais un outil au service de la compatibilité avec la biosphère» (p. 108). Car c’est bien de «solutions» concrètes qu’il s’agit, parfois axées sur la performance (dont la performance énergétique), mais d’abord sur la durabilité. Le biomimétisme se présente sur trois niveaux: le premier à partir des formes inspirées du vivant, par exemple, la proue d’un TGV qui évoque le bec d’un martin-pêcheur, pour favoriser l’aérodynamisme ; le deuxième à partir des matériaux et des réactions chimiques naturelles – la chimie verte –, ce qui a un impact supérieur au premier; enfin, le troisième à partir des relations écosystémiques elles-mêmes, en visant l’insertion de la production dans les cycles biosphériques. On découvre avec étonnement, et scepticisme, qu’il serait possible d’obtenir une électronique et une photovoltaïque organiques où le carbone remplacerait le silicium (!). Les réflexions sur l’agriculture sont plus prometteuses, avec l’objectif d’une «agriculture biomimétique post-carbone». L’auteur prend l’exemple de la ferme du Bec Hellouin en Normandie (évoquée dans le film Demain), qu’il a étudiée de près (épilogue, pp. 293–315). La mise en réseau de centaines de micro-fermes de ce type serait une réponse tant au chômage qu’à la désertification des campagnes. 

Le biomimétisme écosystémique permet aussi de proposer une lecture intégrale de la situation actuelle. G. Chapelle a la lucidité de le relier aux divers aspects de l’effondrement qui vient: les dérèglements climatiques, la chute de la biodiversité et les pics, des métaux et du pétrole, puisque «le biomimétisme, par définition, inclut l’art de vivre sans combustibles fossiles» (p. 129). Il enchaîne: «Comme tout écosystème, les civilisations sont des systèmes adaptatifs complexes au même titre qu’une colonie bactérienne, une fourmilière, une forêt, un récif corallien, une entreprise ou une ville! Ces systèmes ont en commun d’être dynamiques par essence, en évolution constante, au long d’un cycle adaptatif. Par exemple, la phase de croissance d’une forêt démarrera par l’installation d’espèces pionnières ; elles-mêmes préparant l’arrivée d’autres espèces, menant graduellement à la phase de conservation et à la forêt dite mature. Que survienne une perturbation importante – attaque d’insectes ou incendie – et tout ou une partie de la forêt subira alors une destruction créatrice, libérant matière et énergie, avant de préparer la réorganisation. Mais cette évolution ne conduira pas nécessairement au retour de la forêt, si certains seuils ont été franchis. Lorsque nous appliquons cette grille de pensée à la civilisation thermo-industrielle, de nombreux chercheurs estiment que nous sommes maintenant au bord de la rupture – à la fin de la phase de conservation – et que derrière l’effondrement de cette civilisation droguée aux combustibles fossiles, la réorganisation mènera à une civilisation “post-pétrole” privilégiant les approches low tech, tout en nous associant aux autres espèces et en leur laissant le soin de gérer les stratégies de chimie high tech compatibles avec le Vivant qu’elles maîtrisent depuis si longtemps, sans énergies fossiles…»(3). En effet, dans sa conclusion, il en appelle à une reconnexion à la Terre et à ses millions d’espèces, qui devra être symétrique, ajouterai-je, d’une déconnexion la plus large possible du macro-système technique ! 

Bernard Legros

Notes et références
  1. La décroissance étant la proposition la plus intéressante dans la liste ! Mais cela est un autre sujet…
  2. Eco-conseiller, collapsologue et co-auteur avec Pablo Servigne de Comment tout peut s’effondrer, éd. du Seuil, 2015.
  3. Échange privé basé sur les deux derniers chapitres (15 et Conclusion, dont « La mort comme Principe du Vivant »).

Espace membre