Dire oui à l’oncle Sam, c’est le retour d’un ami qui nous veut du mal…

Illustré par :

« Le marché transatlantique est l’ancre de l’économie mondiale. C’est l’espace économique le plus large, le plus profond et le mieux intégré au monde » 

Réseau de Gouvernance Transatlantique (Transatlantic Policy Network)
Mai 2008

Il est des amis qu’on préférerait ne jamais revoir. De ces amis qui vous tiennent l’épaule, prétendent vous soutenir «à la mort, à la vie», mais vous trahissent sans broncher. A beaucoup d’égards, la relation entre l’Europe et les états-Unis est de cet ordre-là. 

Amis, l’Europe et les États-Unis le sont depuis longtemps. En 1949, face à l’ogre communiste, n’ont-ils pas promis de s’épauler l’un l’autre en créant l’OTAN? Leur amitié ne s’est-elle pas forgée tout au long de la guerre froide? Dans l’adversité, ne se sont-ils pas serré les coudes? A en croire l’actuel président de la Commission européenne (José Manuel Durão Barroso), cette amitié au long cours doit beaucoup aux valeurs partagées par l’Europe et les États-Unis, à savoir: état de droit, démocratie, liberté, respect des droits individuels, solidarité, et promotion de la liberté économique comme source de richesses et de stabilité (1). C’est pourquoi ils cherchent à renforcer leurs liens stratégiques en menant des négociations pour créer, dès que possible, un Partenariat de commerce et d’investissement transatlantique. Un projet qu’on peut reformuler de façon plus simple: l’Europe et l’Oncle Sam veulent créer un marché transatlantique, et ont d’ailleurs entamé des négociations en ce sens depuis le mois de juin 2013. 

Officiellement, tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pourtant, à y regarder de plus près, la liste des coups bas américains en Europe est longue comme la liste des écoutes téléphoniques de la NSA…». Ainsi, nous verrons en fin de dossier que l’ogre terroriste n’est pas toujours celui qu’on croit, mais soulignons dès à présent un détail qui fait tâche: en juin 2013, le consultant d’une agence de renseignement liée à l’armée américaine – Edward Snowden, de la National Security Agency fournissait au quotidien britannique The Guardian des documents compromettants. Ceux-ci prouvaient que les États-Unis avaient développé un programme d’espionnage mondial, visant aussi bien leurs amis que leurs ennemis politiques, et s’intéressant tout autant au monde institutionnel (bâtiments de l’Union européenne) qu’au commun des mortels. 

Avouons-le: ce n’est pas digne d’un ami que d’épier en secret le moindre de nos faits et gestes. De surveiller qui nous fréquentons, d’enregistrer nos conversations, de pirater notre boîte à e‑mails… Bref, de violer notre vie privée. Pourtant, c’est bien ce qu’ont fait les États-Unis à l’égard d’une Europe qui, elle, n’a même pas bronché: Un comportement incompréhensible, car au fond qu’y‑a-t-il de pire que la trahison d’un ami ? Peut-être une chose : faire comme si rien ne s’était passé, feindre que tout va pour le mieux et continuer une relation profondément viciée, bâtie sur des mensonges qui ne cessent de se renforcer. 

Ainsi, à en croire la Commission européenne, un mariage économique avec les États-Unis rapporterait un surplus annuel de 545 € pour un ménage européen de quatre personnes. Outre le côté éculé d’un calcul platement numérique et financier (sur lequel nous reviendrons dans ce dossier), cette fausse promesse cache un odieux mensonge. En effet, l’un des enjeux majeurs des négociations transatlantiques est de faire revenir un «AMI qui nous veut du mal». De 1995 à 1997, vingt-neuf gouvernements avaient négocié au sein de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) un Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI). En gros, il était question d’autoriser les multinationales à porter plainte devant des juridictions internationales et contre des États, lorsqu’elles jugeaient qu’une mesure politique était contraire à leurs intérêts financiers. Cela fit bondir les mouvements sociaux qui dénoncèrent «cet AMI qui nous veut du mal», et réussirent à le rejeter dans les ornières de l’Histoire.

Enfin presque, car l’AMI subsiste aujourd’hui à travers certains accords bilatéraux. Ainsi, suite à un différend remontant à l’année 2006, l’Équateur a été condamné en 2012 par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI, un organisme de la Banque mondiale) à payer plus de 2 milliards de dollars à la firme Occidental Petroleum Corporation (Oxy). De même, suite à l’accident de Fukushima, l’Allemagne a décidé d’abandonner progressivement l’énergie nucléaire. Une excellente décision pour la sécurité des populations, mais qui déplaît au gouvernement suédois propriétaire de la multinationale de l’énergie Vattenfall (active dans le nucléaire allemand), et qui réclame 3,7 milliards d’euros de dédommagements à l’Allemagne !

Tel est l’horrible AMI que l’Europe et les ÉtatsUnis aimeraient réinviter à notre table, pour saigner aux quatre veines les gouvernements qui oseraient prendre des décisions (écologiques, sociales ou fiscales) jugées trop contraignantes par les investisseurs et les multinationales. Lesquels en sortiraient évidemment grands vainqueurs, ce qui n’est pas un hasard. En effet, comme nous l’expliquerons en effectuant un Petit voyage au pays des géants, les noces marchandes entre l’Europe et les États-Unis sont une commande de puissantes multinationales. On retrouvera par ailleurs les positionnements de certaines d’entre elles sous forme d’encadrés tout au long du dossier. Cependant, avant d’aller à leur rencontre, le mieux est sans doute d’expliquer en quoi ce projet de marché transatlantique est un Conte pour enfants pas sages.

Dossier conçu et réalisé par Bruno Poncelet, formateur au CEPAG (Centre d’Education Populaire André Genot), animateur de la plateforme www.no-transat. be et auteur avec Ricardo Cherenti de l’ouvrage “ Le grand marché transatlantique, les multinationales contre la démocratie”, Éditions Bruno Leprince, 2011. 

Notes et références
  1. José Manuel Durão Barroso a fait référence à ces valeurs communes dans un discours peu connu, Un nouvel atlantisme pour le 21ème siècle, prononcé à Bruxelles le 26 mars 2010 (document en anglais référencé speech/10/135 dans les communiqués de presse de l’Union européenne).

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