L’OTAN, organisation de défense ou d’agression ?

La réponse dans "Les Guerres illégales de l'OTAN"*, de Daniele Ganser

Une très bonne nouvelle pour celles et ceux qui veulent mieux comprendre les relations internationales, les guerres soi-disant humanitaires et autres manipulations géopolitiques : le dernier livre du chercheur et militant pacifiste Daniele Ganser, « Les Guerres illégales de l’OTAN », vient d’être traduit et publié en français. Cet ouvrage montre comment des pays de l’OTAN sabotent l’ONU et ce que cette institution aurait pu apporter pour des rapports pacifiques entre les nations. Ce faisant, le livre donne un panorama à la fois riche et synthétique de toute une série de guerres occidentales depuis 1945, de leurs buts réels, ainsi que de leurs conséquences désastreuses pour les peuples.

Ganser expose avec rigueur, mais sans lourdeur, de quelle façon une partie des pays de l’OTAN ont systématiquement méprisé l’un des principes fondamentaux de la charte de l’ONU : l’interdiction de s’engager dans une guerre si elle n’est pas défensive ou autorisée par un mandat du conseil de sécurité. Comme cela ressort du livre, outre les ravages des guerres en question, ce mépris a de surcroît fondamentalement discrédité l’ONU. Non que Ganser s’illusionne sur cette institution et ses graves carences. Il pointe bien entendu le fait révoltant que seuls les cinq membres permanents du Conseil de sécurité disposent d’un droit de véto (cinq membres dont trois font d’ailleurs partie de l’OTAN, et dont quatre sont des pays du nord). Néanmoins, il estime que même si elle devrait être réformée, cette institution a son sens, car elle est la seule organisation dont font partie l’ensemble des pays et qui vise la paix entre les nations. Un aspect positif et très important de l’ONU, selon Ganser, est le fait qu’elle offre un espace où peuvent débattre, autour des conflits, des représentants de l’ensemble des pays du monde. 

Quel que soit le point de vue qu’on a sur l’ONU, le livre est d’un très grand intérêt, pour une série de raisons : 

Ganser est un spécialiste reconnu du sujet – historien réputé et professeur à l’université de Bâle, il a étudié les guerres occidentales dans le cadre d’un mémoire comme d’un doctorat ; la valeur de ces travaux a été reconnue dans le monde académique – et ils ont l’estime, notamment, d’une personnalité comme Noam Chomsky. Ainsi, Ganser peut difficilement être taxé d’extrême-gauchiste décalé, par exemple. Ce qui n’empêche pas l’ensemble des médias classiques francophones d’ignorer globalement, jusqu’ici, le nouveau livre de ce chercheur. Ce qui n’est pas étonnant, puisque « Les Guerres illégales de l’OTAN » traite entre autres de choses toujours pleinement d’actualité, où nos gouvernements sont impliqués – contrairement à d’autres publications de l’auteur qui, elles, avaient connu un vrai écho médiatique (en particulier, « Les Armées secrètes de l’OTAN »).

Malgré la valeur reconnue des travaux de Ganser, l’ensemble des médias classiques francophones ignorent le nouveau livre de ce chercheur

Un autre intérêt important du livre : tout en étant très critique, Ganser met aussi en valeur de nombreux faits et acteurs sources d’espoir, ce qui aide notamment le lecteur à ne pas tomber dans des travers comme l’anti-américanisme, ou encore un rejet de l’ensemble de l’Occident : diplomates étasuniens ayant dit la vérité malgré les risques, membres de services secrets occidentaux ayant révélé des faits compromettant leur gouvernement, journalistes tentant de faire réellement leur travail, etc. Il insiste aussi sur le fait que toute une partie des habitants des pays impliqués dans les exactions traitées luttent contre ces exactions, une fois qu’ils ont pu en prendre connaissance ; et ce, y compris bien sûr aux USA (pays où l’auteur a voyagé et sympathisé avec de nombreuses personnes). Cette attitude positive se manifeste plus encore dans la communication orale de Ganser (beaucoup de ses interviews et conférences sont sur Internet) : il parle avec un calme, un humour et un humanisme qui allègent fortement les sujets traités, sans porter atteinte à leur gravité. 

Autre point intéressant encore : Daniele Ganser mène des approches aussi apolitiques que possible. Or, beaucoup d’auteurs ou associations dénonçant les guerres comme celles dont il est question le font en accompagnant leurs exposés d’analyses très teintées politiquement, ce qui bien souvent contribue fortement à restreindre leur public (quelle que soit la valeur de leurs approches et analyses par ailleurs). C’est d’autant plus vrai qu’il s’agit ici de sujets qui, quand on les aborde de façon critique, éveillent déjà bien souvent le soupçon de « conspirationnisme », dès le départ ; ce qui semble pourtant assez inévitable, si l’on veut parler des faits les plus significatifs ; faits que Ganser traite sans hésiter, évitant ainsi les positions floues de ceux qui, justement, craignent d’être taxés de « théoriciens du complot ». Par exemple, il déclare sans ambages que les États-Unis sont un empire et que les autres pays de l’OTAN se comportent, globalement, comme les vassaux de cet empire, au niveau de leurs gouvernements. Déclarations qu’il étaye soigneusement. 

En même temps, l’auteur ne tombe pas dans des visions unilatérales : s’il critique radicalement les agressions occidentales contre les pays concernés, il ne fait pas l’impasse sur les exactions des pouvoirs de ces pays, lorsque de telles exactions existent. Seulement, il montre que les guerres en question, loin d’arranger quoi que ce soit, empirent terriblement les situations concernées. 

Ce livre est un vrai trésor, pour les amateurs d’histoire sensibles aux enjeux des mouvements pour la paix : après des présentations très concises de l’ONU et de l’OTAN, la chronique commence avec le putsch perpétré en Iran, en 1953, par les pouvoirs étasuniens et britanniques, contre un gouvernement démocratiquement élu et très progressiste ; le livre se termine avec l’analyse de la contribution très active de pouvoirs de l’ouest à la destruction de la Syrie, sous le prétexte totalement fallacieux de volonté de démocratiser. Entretemps, Ganser nous fait passer par la guerre contre le Vietnam, le soutien d’une guérilla terroriste au Nicaragua, par Washington, malgré deux condamnations du gouvernement des USA par la Cour Internationale de Justice, l’invasion de l’Irak, ou encore la précipitation de la Lybie dans le chaos, suite à « l’intervention » (l’agression) occidentale. En tout, treize guerres illégales menées par des pays de l’OTAN sont décrites de manière à la fois synthétique et suffisamment riche, dans un style très lisible et très souvent passionnant. 

Ainsi, sur quelques centaines de pages seulement, ce livre fournit de très nombreuses données nécessaire à la compréhension des politiques guerrières de nos pays. Compréhension indispensable si l’on veut tenter de contribuer à mettre fin à ces politiques. Ce qui est toujours aussi nécessaire, voir plus que jamais. En effet, nous sommes à peine au lendemain de la destruction de la Syrie, qui a suivi de peu celle de l’Irak, de la Lybie, du Yémen, etc. Destructions où une partie de l’Occident a chaque fois joué (ou joue encore) un rôle tout à fait central. Or, à peine la dernière de ces destructions achevée, des troubles apparaissent et s’aggravent en Iran. Naturellement, comme bien souvent, la situation sociale de ce pays et les erreurs de son gouvernement ont assurément une place importante, au niveau des causes de ces troubles. Mais il est très difficile de concevoir que des puissances occidentales, en tout cas les USA, ne jouent pas également un rôle, ou qu’elles ne vont pas tenter à nouveau de tirer parti de la situation. Au minimum, il y a un très grand risque que cela se produise. En effet, l’Iran est depuis des années sur une liste de pays où des gens puissants, aux États-Unis, visent un « regime change ». C’est du moins ce qu’a affirmé Wesley Clark ; là non plus, il ne s’agit pas d’un extrême-gauchiste décalé, mais d’un général étasunien qui occupa le poste le plus élevé au sein de l’OTAN. Cette information a été relayée par le Guardian, qui est tout sauf un petit média marginal. On peut lire sur le site de ce journal : « Selon (…) le général Wesley Clark, juste quelques semaines après le 11/09 [2001], un mémo de l’US Secretary of Defense révélait le projet « d’attaquer et de détruire les gouvernements de 7 pays en 5 ans », en commençant par l’Irak, puis en s’occupant de « la Syrie, du Liban, de la Somalie, du Soudan et de l’Iran »(1). » Dans une interview qui a suivi, nous dit encore l’article, Clark explique que cette stratégie se fonde essentiellement sur la volonté de contrôler les grandes ressources en pétrole et en gaz des régions concernées. Or, après ce qui est arrivé dans les pays cités, il semble très manifeste que les faits confirment ces déclarations, tout au moins pour une partie du plan concerné. Et, tout aussi manifestement, ce n’est pas Donald Trump qui désapprouverait des projets de ce type, à l’égard de l’Iran. 

Le dernier livre de Ganser peut réellement renforcer l’action et la crédibilité de ceux qui veulent contribuer à mettre un terme à ces cauchemars, ou qui veulent du moins le tenter. 

Daniel Zink

*Daniele Ganser, Les Guerres illégales de l’OTAN

Éditions Demi-lune, novembre 2017, 448 pages. 

Traduit de l’allemand par Laurent BÉNAC et Jonas LISMONT

 

 

Notes et références
  1.  https://www.theguardian.com/environment/earth-insight/2013/aug/30/syria-… (traduction de l’extrait par DZ). Notons qu’il ne s’agit pas d’un article d’opinion, mais qu’il a été écrit par un journaliste travaillant pour le Guardian, Nafeez Ahmed, docteur en sciences politiques, présenté ici sur le site du Guardian : https://www.theguardian.com/profile/nafeez-ahmed

Espace membre