Le réseau 4G, le progrès et la mort des abeilles

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L a presse généraliste y a largement fait écho au cours de ces quelques semaines de vacances, la téléphonie mobile de quatrième génération est en train de s’implanter en Belgique

Ce pas décisif dans notre course au progrès est en train de se réaliser grâce aux opérateurs déjà bien implantés que sont Mobistar, Proximus, et Base auxquels s’est ajouté un quatrième opérateur.

Grâce à Mobistar, Anvers va d’ores et déjà bénéficier d’un réseau pilote tandis que 600 sites supplémentaires seraient équipés dès 2013. Proximus teste son réseau sur 9 villes du pays (dont Liège, Namur, Mons et Wavre) et Base sur 2 villes flamandes.

Si on oublie les quelques milliers de passéistes et de grincheux qui ont signé une pétition dénonçant le risque d’une forte augmentation de la pollution électromagnétique(1) , du fait notamment de l’entrée sur le marché d’un quatrième opérateur, il y aurait tout lieu de se réjouir. C’est en tout cas le ton clairement affiché par la plupart des journalistes. Certains saluent même le volontarisme des opérateurs et déplorent les entraves au progrès que constitue à Bruxelles l’existence d’une norme d’exposition qu’ils jugent trop sévère au point de les empêcher de réaliser leurs projets.

Mais au fait, de quel progrès s’agit-il?

Grâce au réseau 3G et aux téléphones intelligents (pardon, mieux vaut dire Smartphones), nous bénéficions en permanence de la possibilité de regarder la télévision, de naviguer sur Internet, d’envoyer des vidéos …. Bref d’être insérés en permanence dans ce vaste réseau de consommation d’images dans lequel la modernité nous convoque.

Mais, car il y a un mais essentiel, la 3G, au cas où cela aurait échappé à certains, c’est lent, beaucoup trop lent ! Avec la 4G, la vitesse de transfert de données sera dix fois supérieure :

- jouer en ligne, activité essentielle chacun en conviendra, pourra se pratiquer partout avec un confort total ;

- visionner une étape du tour de France sur son Smartphone, idem ;

- plus sérieux : les images des caméras de surveillance installées dans les villes pourront être exploitées avec une efficacité nettement meilleure par les services de police ! On le voit : le réseau 4G va fournir une « foule de nouveaux services », comme l’a déclaré Madame Evelyne Huytebroeck(2) , Ministre en charge de l’environnement en Région bruxelloise. Pour elle, il n’est donc pas question de contester un développement technologique aussi prometteur mais bien de « veiller au respect de l’équilibre santé des populations et développement économique». Elle appelle donc les opérateurs à prouver que le réseau 4G ne peut s’implanter en respectant la norme actuelle.

Une chose est certaine à ce stade : la pression des opérateurs pour assouplir à Bruxelles la norme actuelle va se renforcer de façon de plus en plus explicite et cela d’autant plus qu’en Flandre et en Wallonie, cette même norme (3V/m) s’applique séparément pour chaque opérateur et non globalement, ce qui est injustifiable.

Les opposants au développement du 4G (les grincheux et les passéistes) ont raison de craindre un accroissement du smog électromagnétique. Cet accroissement est inéluctable. On ne voit pas en effet comment la multiplication des pollueurs pourrait ne pas augmenter la pollution !

Est-ce un progrès pour le vécu de chacun d’entre nous d’accélérer la transmission d’images par téléphone portable ?

Mme Huytebroeck, en acceptant et même en saluant le bien-fondé de la démarche des opérateurs, devra en fin de compte s’incliner.

Or, en préalable, il est des questions qui méritent un débat. Est-ce un progrès pour le vécu de chacun d’entre nous d’accélérer la transmission d’images par téléphone portable ?

Est-ce d’ailleurs un progrès d’être assigné en permanence à un rôle de consommateur d’images ?

Tous connectés, tout le temps, et condamnés à pianoter et à visionner, prisonniers d’un vaste réseau, est-ce cela notre futur ?

Ceux qui balayent ces questions d’un revers de la main, convaincus de ce qu’on n’arrête pas le progrès, considèrent-ils qu’il est légitime d’imposer à tous les effets délétères d’une pollution électromagnétique de plus en plus présente ?

Contrairement aux dires des opérateurs qui dénoncent la trop grande sévérité de la norme bruxelloise, celle-ci est bien un compromis, comme l’admet Mme Huytebroeck, entre la santé et le développement économique. Elle n’est pas trop sévère, … elle ne l’est pas assez.

Les données scientifiques et épidémiologiques se sont en effet accumulées depuis quelques années montrant des effets biologiques préoccupants pour les êtres vivants d’une exposition aux rayonnements électromagnétiques pulsés, émis par les téléphones portables (même s’ils sont intelligents) et par les antennes-relais.

Depuis 2004, avec la publication de l’étude Reflex, commanditée par la Commission européenne, on sait que le rayonnement d’ondes pulsées dans la gamme des micro-ondes provoque des dommages à l’ADN et aux chromosomes. Ces effets génotoxiques se manifestent déjà à des niveaux d’exposition (0.6 V/m) 25 fois plus faibles que la valeur-limite adoptée à Bruxelles.

Depuis l’an 2000, de nombreux scientifiques préconisent 0.6V/m comme valeur-limite d’exposition. Cette proposition reprise par le Bioinitiative Working Group en 2007 est avalisée par l’Agence européenne de l’environnement … mais ignorée par la Commission européenne, toujours soucieuse de protéger les intérêts de l’industrie.

Récemment, des études réalisées à l’Université de Bruxelles ont montré des perturbations graves du comportement dans des colonies de fourmis exposées à … 1V/m.

Selon le Dr Ulrich Warnke, biologiste de renommée internationale de l’Université de la Sarre, qui étudie les effets des champs électromagnétiques sur l’homme et la faune depuis plus de 30 ans, l’électrosmog, qui a pris une dimension sans précédent depuis quelques années, produit une importante désinformation des systèmes fonctionnels naturels des espèces, lesquelles perdent ainsi leurs repères. Selon lui, la disparition des abeilles constatée en Europe et aux Etats-Unis (syndrome d’effondrement des colonies) pourrait bien s’expliquer par ce type de mécanisme.

Ni les fourmis, ni les abeilles ne peuvent être qualifiées a priori de grincheuses ou de passéistes; comme les humains hypersensibles, elles sont les premières victimes d’un progrès que célèbrent avec tant de légèreté les inconditionnels de la technoscience.

  Paul Lannoye

Notes et références
  1. http://www.teslabel.be/PDF/Ministre_Onkelinx.pdf
  2. Voir « La norme 4G se déploiera également à Bruxelles », sur http://evelyne.huytebroeck.be
  3. Le Soir, 23 & 24 juin 2012

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