Iode: la pastille qui fait déborder le vase?

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- T’as été chercher tes pastilles d’iode ?

- Ah ouais… c’est vrai, ça m’était sorti de la tête. Mais y’a pas de risques, non, tranquille !

- Pourquoi ils distribueraient des pastilles alors ?

- Ouais, t’as pas tort là. Y préfèrent prendre le risque de l’apocalypse alors ?

- T’as tout compris. Le fric, le fric, le fric, y’a que ça !

La spectaculaire mesure gouvernementale de distribution de comprimés d’iode dans toute la Belgique est l’exemple même, poussé à son extrême, de l’aspect secondaire qu’a le peuple pour les « gouvernants ». Scandaleuse en tant qu’elle révèle qui ils sont et ce qu’ils pensent que nous sommes, a‑t-elle malgré tout été digérée?

Alors que la plupart s’enrichissent dans leurs conseils d’administration et autres fonctions, uniques paravents servant à occulter leurs pratiques mafieuses(1). le nouveau scandale faisant oublier le précédent, toutes les mesures qu’ils prennent le sont dans un seul objectif : qu’ils ne soient pas ennuyés, et donc que nous les réélisions aux prochaines élections. Les autres ? Des exceptions. Travaillez, consommez, lisez les médias de masse, regardez la télé et prenez vos pastilles d’iode, ils vous laisseront tranquilles et vous convaincront que vous êtes libres.(2)

Maîtriser la communication est dès lors essentiel pour eux. Leurs serviteurs médiatiques sont là pour ça(3), le cas de l’entreprise Zalando, boutique en ligne de vêtements, « qui malheureusement ne s’est pas installée en Belgique », en témoignait récemment. Les médias nous annonçant « La Wallonie loupe le contrat du siècle avec Zalando », est emblématique. L’événement illustre à son tour le contrôle de l’information et de la pensée et leur formidable technique de propagande, reprenant la litanie de l’emploi, qui nous rappelle cette réflexion odieuse du syndicat socialiste, alors que les discussions parlementaires portaient à l’époque sur la nécessité de vendre des armes à la Libye(4) : « Nous allons connaître une baisse d’activités à partir de 2011 avec la perte de 52 CDD à partir du mois d’octobre (FGTB). La commande libyenne aurait pu compenser cette baisse d’activités (…) La commande libyenne était un contrat qui aurait offert du travail à 400 personnes de manière intermittente pendant 4 à 5 ans ».(5) Mais revenons au cas Zalando : alors que 221 milliards d’euros ne sont pas passés par les caisses de l’État belge en 2016, argent qui à lui seul aurait permis de financer des services essentiels, on se perd dans des considérations sur « les coûts salariaux plus élevés » ou « l’assouplissement des règles sur le travail de nuit ». Ne pas lier les deux n’a rien du hasard. Commencer à parler de la fuite fiscale avant toute considération, sinon ne parler de rien.

- « Tu dois être plus flexible ! »

- « Plus flexible ? Et les 221 milliards, c’est quoi leur taux de flexibilité ? »

Quel lien donc entre ce contexte concurrentiel de pays qui compressent les travailleurs et en font de vulgaires instruments productifs, le nucléaire et ses pastilles d’iode, l’évasion fiscale … ? C’est que les gesticulations spectaculaires des politiciens occultent toujours l’essentiel, ces questions qu’une population bien informée devrait se poser massivement et sur lesquelles elle aurait la capacité de décider. À cela, ceux qui gouvernent préfèrent définitivement la fuite en avant et le choix du pire. Dans les usines, on voudrait donc que les ouvriers s’usent la nuit pour le salaire de jour. Ils seront fatigués, stressés, sous médicaments, déprimés, leur couple et leur famille n’y résisteront pas. Est-ce grave ? Les somnifères qu’ils prendront pour dormir les nuits où ils ne travaillent pas et les anxiolytiques ingurgités le jour enrichiront les multinationales pharmaceutiques ; les avocats spécialisés dans les affaires de divorces feront leurs soussur la séparation du couple ; le décrochage scolaire des gosses les orientera précocement vers des filières professionnelles, pour plus tard aller remplir les rangs des exploités, qui auront intérêt de la fermer et faire les heures de nuit que leurs parents avaient refusé de faire. Tout cela pour produire des vêtements surconsommés. Pendant ce temps-là, frères et sœurs du Bangladesh et d’ailleurs crèveront. Loin.

Travaillez, consommez, lisez les médias de masse, regardez la télé et prenez vos pastilles d’iode, ils vous laisseront tranquilles et vous convaincront que vous êtes libres

Jamais ne se posera la question de la nécessité de tout cela. La motivation du moindre coût détermine les manœuvres politiques. On voudrait donc que tout continue comme avant, au point de nous préparer au pire pour nous le faire accepter (rappelons-nous des black-out simulés lors de chaque JT, ou des titres effrayants comme le 9 août 2012 sur la RTBF, le reportage étant titré « Plus de lumière sans nucléaire »), alors que deux réacteurs étaient à l’arrêt. Rien n’est de trop pour la croissance. Que le quidam meure pour produire nos fringues, que la nature soit détruite pour notre pouvoir d’acheter. Le nucléaire est la métaphore parfaite de ce système, car un risque dont la probabilité serait même de 0,000000001 justifierait l’arrêt immédiat de tous les réacteurs. Il est, pourtant, bien plus élevé.

Alors, trop peureux que nous sommes, qui pensons encore que ces ectoplasmes que « nous » avons élus vont nous sortir du marasme, quand déciderons-nous de sortir en masse dans les rues, quitte à repenser l’usage des lampadaires pour tous ces criminels et mafieux, politiques et capitaines d’industrie?

La coupe est pleine.

Alexandre Penasse

Notes et références
  1. Voir « Bienvenue en ploutocratie: Kazakhgate, Afrique, réseaux… le MR à tous les étages ».
  2. Certaines de ces injonctions sont d’ailleurs parmi les mesures préconisées par le gouvernement en cas d’accident nucléaire. Voir le formidable spot de propagande gouvernementale: https://www.youtube.com/watch?v=l035J7UwdlA
  3. Il faut se souvenir d’où ils parlent: http://www.kairospresse.be/article/affichage-kairos-dans-le-metro-bruxellois.
  4. « Libye, FN de Herstal et libre marché », 1er mars 2011.
  5. http://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2009_2010/CRIC/cric169.pdf

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