Et alors, ces vacances?

Illustré par :

M’EN PARLE PAS, J’AI ÉTÉ DANS LE COMA PENDANT UN MOIS…
- AH BON, ET T’AS EU DU SOLEIL ?

Cette petite histoire en guise, donc, de préambule un tantinet léger afin, dès l’entrée en matière, de donner le ton de cettechronique qui se posera délibérément en porte-à-faux du climat ambiant depuis de trop longues semaines et auquel, il m’est arrivé ici, à l’occasion, d’ajouter un grain de sel inopportun pour ne pas dire superfétatoire. Car, n’est-ce pas,la messe est dite ; et redite à longueur de commentaires, articles de journaux en tous genres avec titres géants et en caractères gras : C’est la fin des haricots, la fin du monde approche à grand pas, il va y avoir la guerre – qui pourrait commencer et se répandre en Ukraine, au Proche, Moyen ou Extrême Orient ou bien encore en des lieux parfaitement imprévisibles – nous sommes entrés dans l’ère du déficit écologique, qui va voir se raréfier à peu près tout et le reste; la liste des petites et grandescatastrophes à venir, demain ou un peu plus tard, s’allonge chaque jour qui passe. Cela pour la situation dite internationale. Pour ce qui est de notre petit Royaume et des sommités politiques qui sont mandatées pour qu’il ne se porte pas trop mal, les prévisions et pronostics relatifs à l’après scrutin de mai dernier, dont je parlais dans ma chronique du précédent exemplaire de ce journal, se sont finalement avérés être ce que je disais qu’ils seraient à quelques minuscules détails près, je n’y reviendrai pas, ce serait faire injure, cher(e)s lectrices et lecteurs, à votre sens de l’observation et à votre esprit critique.

La nature, dans son infinie sagesse et son indéniable «savoir-faire» nous a dotés d’un cerveau. Et, accessoirement, des organes et fonctions diverses dont il est le maître incontesté. (On voudra bien noter qu’une grande variété d’animaux sont pareillement équipés de tout le nécessaire propre à la perpétuation de leur espèce et donc, en possession de formes d’intelligences qui méritent notre amitié, notre respect et notre considération). Nous sommes, donc, dès notre naissance et selon les lois immuables de l’hérédité – dont une bonne part reste un profond mystère – les heureux propriétaires de ce bizarre et peu ragoutant – pour peu qu’on l’observe isolé du reste – machin, protégé par notre boîte crânienne dont l’épaisseur le protège, relativement, bien sûr, des coups et autres petits accidents de la vie de tous les jours. Car il peut arriver qu’une chute, la rencontre fortuite avec un objet contondant ou une balle perdue– de fusil, de mitraillette ou de pistolet – se joue, pour notre malheur, de la solidité de notre crâne. Mais enfin, ce sont là des événements qui ne surviennent que dans des circonstances extrêmes et, de toute manière, comme tant d’autres choses, parfaitement  hasardeuses. Le cerveau, tout cela dit, a, pour entre-autres fonctions, de nous permettre d’entrer en relation avec le monde extérieur et ce qu’il contient, d’en saisir et comprendre autant que possible la complexité, d’en apprécier la beauté ou, à contrario et selon l’actualité des jours, notre humeur ou nos états d’âme, de le trouver laid, hostile, dangereux ou absolument invivable. Le cerveau est donc, en gros, l’outil de communication commun à tous nos semblables que nous nous partageons, vaille que vaille, au gré des circonstances de ce qui fait nos vies.

Nos vies, parlons-en de nos vies, de l’usage qu’il nous est encore permis d’en faire, embourbées qu’elles sont dans les plus grossières nécessités maquillées en libres choix dictés par les fameuses et sacro-saintes activités culturelles de toutes natures, tout comme, pareillement, par les injonctions du commerce et des boutiques. Lesquelles activités, de plus en plus associées aux innombrables bidules qui se glissent dans la poche et consultables à tous moments ne sont, en fin de compte, que la manière la plus triviale d’échapper à la panique que devrait nous inspirer le regard implacable posé sur la réalité de nos mornes existences. Mais enfin, jusqu’à preuve du contraire, il faudra bien, contraints et forcés comme nous le sommes, d’encore participer à la grande farce du progrès, de la croissance et du travail forcé qui en est le corollaire, continuer, bon an, mal an, d’aller par les chemins balisés à la recherche ou, mieux, l’attente du bonheur. A moins, bien sûr, de faire le petit, tout petit pas de côté qui est à la portée de tout un chacun pour autant qu’il en ait le désir. Ce léger mouvement, cette infime bifurcation consiste, tout simplement, dans le refus obstiné et systématique de toutes formes d’injonction, sollicitation, séduction, d’où qu’elles viennent et quels que soient leurs possibles attraits qui, pour la plupart, sont illusoires. On se refusera donc l’achat et la possession de tout ce qui n’est pas absolument indispensable à la vie simplement décente et digne, on se satisfera de ce que la simplicité gaiement assumée et une relative frugalité commande, enfin, on tournera délibérément le dos aux faux besoins pour ce qui est des petites choses du quotidien. Pour le reste, on pourra aisément se passer de récepteur de télévision et de radio, proscrire la lecture des journaux à grands tirages au profit des blogs et sites internet alternatifs en matière d’information et d’analyses (il en est de très sérieux et fiables), cela en vue de désencrasser nos pauvres cervelles des montagnes d’immondices qui s’y sont accumulées au fil du temps.

Et puis, et puis… on ne pestera pas contre la pluie, non plus que contre les frimas qui s’annoncent ; et l’on se réjouira en silence de la beauté des nuages, de la réconfortante chaleur des rayons de l’astre du jour et, la nuit venue, de la face lumineuse de la lune. On ira doucement son paisible chemin, le sourire aux lèvres, on s’occupera de son jardin quand on aura le bonheur de pouvoir en jouir et la porte en sera ouverte sur l’extérieur, les voisins, les amis ; sur le vaste monde et toutes les surprises, heureuses ou non, qu’il peut encore nous réserver. Car il ne peut s’agir de s’enfermer dans un cocon mesquin et peureux et de s’ôter de la vue ce qui-sait-on jamais — pourrait survenir comme événements surprenants auxquels prendre part d’une façon ou d’une autre. La lassitude et le désarroi qui envahit tant de consciences, le misérable spectacle qu’offre à peu près partout une classe politique déboussolée et incapable de concevoir comme action autre-chose que la lutte des places et la poursuite imbécile de politiques d’austérité qui ne font qu’accumuler les échecs en tous les domaines, tout cela ne peut être pris que comme un moment dans une Histoire qui ne peut se concevoir comme finie ou figée. Tout, partout et de tous temps, est mouvement : tantôt infinitésimal, tantôt tempétueux, toujours imprévisible. Et, bien que, individuellement, nous nous sentions embarqués dans un tourbillon aux mille visages, effarés et impuissants devant uneréalité sur laquelle nous sentons bien n’avoir aucune prise, nous voulons croire que, peut-être, par on ne sait quel prodige, les innombrables voix qui partout hurlent colère et désespoir n’en fassent plus qu’une, tonitruante, universelle. Et que, soudain, assourdis et paralysés par la peur, les massacreurs et les fous de Dieu, les décideurs et les princes de la finance s’évaporent dans l’éther, ou dans la boue ; et disparaissent, comme ça, tout simplement…

Jean-Pierre L. Collignon

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